Analyse. Éclaboussé par plusieurs scandales au cours des derniers mois, jugé archaïque par le Nouveau Parti démocratique (NPD) et certains premiers ministres des provinces, le Sénat est-il en train d'assurer sa rédemption en se portant à la défense de la démocratie canadienne et des règles qui doivent s'appliquer durant les élections?

Contre toute attente, le comité des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat, composé majoritairement de sénateurs conservateurs, force le gouvernement Harper à mettre de l'eau dans son vin dans le dossier de la réforme électorale. Ce comité a proposé hier neuf amendements à cette fameuse réforme décriée non seulement par les partis de l'opposition, mais aussi par de nombreux experts.

Jusqu'ici, c'est le chef du NPD, Thomas Mulcair, qui a mené la charge contre cette réforme à la Chambre des communes au cours des derniers mois. Il a souligné avec brio les nombreuses lacunes de C-23, rappelé les contradictions du gouvernement Harper et repris à son compte les critiques du directeur général d'Élections Canada, Marc Mayrand, de l'ancienne vérificatrice générale Sheila Fraser, et même de Preston Manning, considéré comme l'elder statesman (le vétérant de la politique) du mouvement conservateur.

Mais les critiques du chef du NPD, les inquiétudes des nombreux experts et les analyses négatives de plusieurs quotidiens n'avaient pas ébranlé les convictions du ministre d'État responsable de la réforme démocratique, Pierre Poilievre. Jusqu'à ce qu'un comité du Sénat décide de se prononcer.

Pour la première fois, hier, M. Poilievre s'est montré ouvert à l'idée d'accepter des changements si cela permet d'améliorer son «excellent» projet de loi. Alors qu'il était indifférent au torrent de critiques, M. Poilievre doit maintenant adopter un autre ton. Car il devra tenir compte des amendements proposés par le comité sénatorial, à défaut de quoi le Sénat, où les conservateurs détiennent la majorité, pourrait bien torpiller sa réforme.

Passage obligé

Avant d'obtenir la sanction royale, tout projet de loi doit être adopté dans la même version par la Chambre des communes et le Sénat. Les Communes doivent d'abord l'avaliser, ensuite le Sénat doit se prononcer. Si le Sénat estime que des amendements s'imposent, après étude, le projet de loi modifié est renvoyé aux Communes pour être de nouveau étudié. Un bras de fer peut donc s'ensuivre si les deux Chambres ne peuvent s'entendre.

M. Poilievre tient à adopter à toute vapeur la réforme électorale, au plus tard à la fin de la session parlementaire, en juin. C'est pour cette raison que le comité du Sénat a décidé de faire une pré-étude du projet de loi la semaine dernière, alors que le débat se poursuit aux Communes. Ce faisant, le Sénat a mis du sable dans l'engrenage de la roue du gouvernement Harper.

Le Sénat a été cloué au pilori depuis un an en raison du scandale des dépenses des sénateurs Pamela Wallin, Mike Duffy, Patrick Brazeau et de l'ex-sénateur Mac Harb. Les frasques incessantes de Patrick Brazeau ont aussi alimenté la chronique. Certains conservateurs ont depuis joint leur voix à celle des néo-démocrates en réclamant l'abolition de la Chambre haute.

«Il ne faut pas croire que tout ce qui se passe au Sénat, ce sont simplement des comptes de dépenses mal gérés. Il y a aussi du travail sérieux qui se fait», a soutenu hier le sénateur libéral indépendant Serge Joyal, membre du comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Il a d'ailleurs énuméré une liste de récents bons coups du Sénat qui n'ont pas fait la manchette.

«Il est assez saugrenu que ce soit le Sénat qui rappelle les règles qui doivent prévaloir durant les élections dans la mesure où nous ne sommes pas élus», a commenté le sénateur indépendant Jean-Claude Rivest.

Pour une rare fois en un an, hier, le Sénat a peut-être eu droit à une marque d'estime dans l'opinion publique.