Des institutions publiques financées à même l'argent des contribuables ont dépensé plusieurs dizaines de milliers de dollars pour embaucher des lobbyistes qui les représentaient auprès des gouvernements, au cours des trois dernières années.

Des universités, des cégeps et un hôpital, dont certains se trouvent à quelques kilomètres de l'Assemblée nationale, ont ainsi payé des spécialistes de la représentation gouvernementale pour obtenir davantage de financement ou pour faire modifier des règlements municipaux.

L'Université Laval, par exemple, a été représentée par trois lobbyistes en 2009, chacun d'entre eux oeuvrant sur un mandat distinct. Le chef du bureau du cabinet National à Québec, Luc Ouellet, était parmi eux, tout comme un ancien conseiller de Jean Charest, Martin Daraiche, qui travaille maintenant pour cette même firme.

Deux années plus tôt, en 2007, l'institution avait octroyé un mandat à la firme Tactix Government Consulting, dont les bureaux sont situés à Ottawa.

Le Centre hospitalier de l'Université de Montréal, quant à lui, pouvait compter en 2008 sur les services de deux avocats enregistrés au registre des lobbyistes pour faire modifier deux projets règlements municipaux.

Seulement en 2009, le lobbyiste Patrice Ryan, de la firme Ryan Affaires publiques, a reçu 24 000 $ de la part de l'Université de Montréal, a indiqué la porte-parole de l'institution. Son mandat, qui s'est étendu sur une période de deux ans selon le registre des lobbyistes, était essentiellement lié au développement d'un nouveau campus à Outremont.

Les acteurs des réseaux de l'éducation et de la santé ont été nombreux dans les dernières années à condamner ce qu'ils ont souvent qualifié de sous-financement de leurs activités par l'État québécois.

Le montant total d'argent public dépensé pour de tels contrats est difficile à établir, car le registre provincial des lobbyistes ne fournit qu'une fourchette de prix plutôt que les honoraires versés exacts. Certaines institutions ont refusé de dévoiler le montant de ces contrats sans demande officielle en vertu de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics. C'est notamment le cas de l'Université Laval.

Le registre fédéral, quant à lui, ne contient aucune indication quant aux honoraires versés aux lobbyistes.

Entre 2007 et 2010, les mandats enregistrés au registre provincial des lobbyistes par des institutions publiques peuvent totaliser, au maximum, jusqu'à 340 000 $, selon les calculs de La Presse Canadienne.

«Si on nous dit d'un côté qu'on veut plus d'argent pour payer plus de professeurs et que de l'autre on s'en sert pour payer des lobbyistes, c'est assez choquant» a lancé le président de la Fédération étudiante universitaire du Québec, Louis-Philippe Savoie, en entrevue téléphonique.

«On croit qu'il faut plus de transparence dans la gestion des universités québécoises.»

Même son de cloche chez les cégépiens. Léo Bureau-Blouin, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec, a affirmé croire que face au sous-financement du réseau, les collèges devraient «établir des solutions structurantes et non pas aller à droite et à gauche pour engager des lobbyistes qui vont faire la promotion d'un collège en particulier.»

Pour Peter Dietsch, professeur spécialisé en éthique à l'Université de Montréal, il s'agit d'une perte nette pour le contribuable, qui ne s'en retrouve nullement mieux servi.

«Les coûts du lobbying public représentent une forme de gaspillage, parce qu'on pourrait investir ces fonds-là en santé ou en éducation au lieu de les investir dans le lobbying.»

Une telle forme de lobbying n'augmente pas les ressources publiques, il fait seulement en sorte que ces ressources publiques sont distribuées de façon différente, a-t-il expliqué.

«Le contribuable qui paie cette facture a raison de se plaindre de ce gaspillage, justement parce qu'il verse ses impôts pour certains services publics», a-t-il plaidé, avant de mentionner qu'il peut être tentant pour certains organismes de conclure de tels contrats lorsqu'ils sont en compétition pour une même enveloppe budgétaire.

Ce n'est pas l'avis de Sylvie Fortin, la directrice des communications d'un cégep qui a pris la décision de faire affaire avec un lobbyiste.

Son employeur, le Collège François-Xavier-Garneau, situé à Québec, a versé 12 000 $ à Pierre Beaulieu, de la firme Cheminement Stratégique, pour l'aider à obtenir l'appui du gouvernement provincial dans le cadre de la réalisation d'un terrain sportif en matière synthétique.

Mme Fortin indique qu'en raison du manque d'expertise au sein de l'administration collégiale, l'appui de M. Beaulieu avait permis à ce projet d'aboutir.

«C'est petit un collège en terme d'administration. Nous sommes une vingtaine de cadres, dont un seul ingénieur, qui avaient à planifier les demandes de subvention ainsi que les travaux eux-mêmes», a-t-elle fait valoir.

Elle a avoué comprendre que certains contribuables pourraient être frustrés de l'octroi de tels contrats, mais a soutenu qu'en définitive, 12 000 $ est un montant minime sur les 4,5 millions $ qu'a nécessités le projet.

«On se pose la question à chaque fois qu'on autorise des contrats de cette nature-là. On se rend compte qu'étant donné l'ampleur des projets, il faut se faire aider», a-t-elle plaidé, mentionnant qu'elle aussi pouvait analyser cette question du point de vue d'une contribuable.

«C'était un 12 000 $ bien investi.»

Des cas en Ontario

Des révélations concernant l'utilisation de fonds publics pour engager des lobbyistes ont déjà fait surface en Ontario, au début du mois d'octobre. Les montants impliqués étaient toutefois beaucoup plus élevés qu'ici.

Les députés néo-démocrates à Queen's Park ont accusé les universités de la province d'avoir dépensé près d'un million de dollars pour de tels contrats. Les dépenses de cet ordre totalisaient presque 500 000 $ pour la seule Université York, à Toronto.

Quatorze hôpitaux ontariens avaient aussi jugé bon de dépenser une partie de leur budget pour engager des lobbystes.

Ces informations ont embarrassé le gouvernement de Dalton McGuinty, qui n'a pas tardé à condamner ces dépenses et à promettre un projet de loi pour les interdire.