(Ottawa) Depuis le début de l’offensive d’Israël dans la bande de Gaza en octobre, le Canada a autorisé l’exportation d’au moins 28,5 millions* en équipement militaire vers l’État hébreu. Le record précédent était d’environ 28 millions… en un an, en 1987.

Plus d’une quarantaine de permis d’exportation ont été approuvés au cours de cette période. De quel type de matériel s’agit-il ? « Les licences délivrées depuis le 7 octobre […] concernent des équipements non létaux », assure Affaires mondiales Canada.

On parle, par exemple, « de lunettes de vision nocturne, d’équipement de protection », a illustré lundi la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, après avoir qualifié d’« inacceptable » l’offensive militaire israélienne en cours à Rafah.

Impossible d’en savoir davantage en consultant les documents fournis par son ministère, que le site d’information The Maple a d’abord obtenu vendredi dernier, en fin de journée. Description du matériel, numéro des permis, fournisseurs : tout est caviardé.

« Le Ministère a l’obligation de protéger les informations confidentielles concernant les activités commerciales des entreprises individuelles », a fait valoir Jean-Pierre Godbout, porte-parole d’Affaires mondiales Canada.

Pas d’armes ?

Le feu vert a été donné à l’expédition de marchandises appartenant à une catégorie de biens à exportation contrôlée regroupant tant des charges explosives que du matériel d’aéronef et les lunettes de vision nocturne évoquées par la ministre Joly.

« Nous n’avons pas approuvé de permis pour l’exportation de bombes, de roquettes, de missiles ou d’engins explosifs », a néanmoins insisté sa directrice des communications, Emily Williams.

Selon la députée néo-démocrate Heather McPherson, le gouvernement libéral joue avec les mots. « Ils peuvent dire, par exemple, qu’ils n’envoient pas de fusils. Mais peut-être envoient-ils des pièces qui entrent dans leur fabrication », cite-t-elle en exemple.

À l’institut de recherche pour la paix Project Ploughshares, le chercheur Kelsey Gallagher fait un constat similaire. Par ailleurs, « il n’y a pas de catégorie de matériel militaire non létal dans le système canadien de contrôle des exportations ; ça n’existe pas », note-t-il.

« Alarmant »

Ce qui est clair d’après les chiffres, c’est que les exportations militaires vers Israël sont en nette croissance. « C’est alarmant que le rythme ait crû à une telle vitesse après le début de la riposte d’Israël à Gaza aux attentats du 7 octobre », affirme M. Gallagher.

« C’est troublant, cette augmentation spectaculaire des ventes d’armes à Israël en cette période particulièrement meurtrière », abonde le député Stéphane Bergeron, du Bloc québécois.

Et l’argument de la non-létalité des marchandises ne tient pas la route, croit l’élu.

Les armes non létales comme les drones civils ou des lunettes de vision nocturne servent à quoi, sinon à identifier des gens qu’on peut descendre ?

Stéphane Bergeron, député du Bloc québécois

En vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, la ministre des Affaires étrangères doit rejeter toute demande de permis s’il existe un « risque sérieux » que le matériel porte atteinte à la paix ou serve à des violations du droit international.

Le Parti conservateur n’a pas répondu aux questions envoyées par La Presse. Lundi, à la Chambre des communes, des applaudissements ont fusé des banquettes conservatrices lorsque la députée Heather McPherson a parlé des exportations de 28,5 millions.

Celle-ci a déposé et fait adopter lundi, au Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, une motion exigeant la divulgation de documents sur l’attribution de permis d’exportation à Israël entre 2006 et 2024.

La décision néerlandaise

Aux Pays-Bas, plus tôt cette semaine, la Cour d’appel de La Haye a ordonné à l’État de suspendre la livraison de pièces d’avions F-35 à Israël. Les risques que celles-ci soient utilisées dans des actions violant le droit humanitaire international ont mené le tribunal à ce verdict.

La cause a été portée par des organisations comme la section néerlandaise du groupe Oxfam. Il est difficile de savoir si une procédure semblable pourrait être intentée au Canada, où des usines participent à la chaîne d’approvisionnement des F-35.

Ce que je dirai, c’est que le cadre d’évaluation du risque néerlandais est le même que le cadre canadien, parce que les deux pays sont signataires du Traité international sur le commerce des armes.

Kelsey Gallagher, chercheur

Israël figure parmi les principales destinations des exportations d’armement du Canada. Le volume de ses exportations militaires est cependant marginal par rapport à celui de pays tels que les États-Unis, principal pourvoyeur d’armes de l’État hébreu.

Cela fait des semaines que le Nouveau Parti démocratique exhorte les libéraux à fermer le robinet. Au Bloc québécois, après avoir écarté l’idée, on commence à y réfléchir plus sérieusement. Interrogé à ce sujet en Chambre, mercredi, Justin Trudeau a esquivé la question.

« Une opération militaire à Rafah aurait des conséquences catastrophiques […]. Il n’y a tout simplement nulle part où aller pour les civils. Protéger les civils est primordial et un cessez-le-feu durable est nécessaire », a-t-il déclaré.

* Pour en arriver à la somme de 28,5 millions, les doublons de sept permis d’exportation ont été exclus dans le calcul. Affaires mondiales Canada a refusé de confirmer s’il s’agissait effectivement de doublons, se contentant de dire que ce genre de document en comprenait « souvent ».