(Ottawa) Même si l’ingérence étrangère prend de l’ampleur au pays et se manifeste sur plusieurs fronts, un seul leader provincial – le premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby – a demandé et obtenu une cote de sécurité élevée du gouvernement fédéral au cours des derniers mois afin d’avoir accès aux breffages hautement confidentiels du SCRS sur la sécurité nationale.

Le premier ministre du Québec, François Legault, n’a pas entrepris une telle démarche auprès du gouvernement fédéral, a confirmé un porte-parole de son bureau à La Presse, même si Hydro-Québec a été la cible l’an dernier d’espionnage industriel au profit de la Chine. Yueshang Wang, qui était chercheur travaillant à Hydro-Québec, a été accusé en novembre dernier d’avoir transmis des secrets industriels à la Chine à la suite d’une enquête de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Ce dernier avait accès aux recherches de pointe de la société d’État en matière de batteries pour voitures électriques.

Selon certains experts, une telle situation est tout à fait inconcevable au moment où les acteurs malveillants agissant au nom de régimes autoritaires multiplient les démarches pour obtenir les secrets industriels et technologiques, entre autres choses. Elle met carrément à risque les intérêts politiques et économiques de provinces comme le Québec et l’Ontario. Hydro-Québec fait partie des infrastructures essentielles au pays et constitue « un intérêt stratégique à protéger », selon la GRC.

À l’heure actuelle, le Service canadien du renseignement et de sécurité (SCRS) transmet les renseignements confidentiels sur la sécurité nationale qu’il collige uniquement au gouvernement fédéral, comme le précise la Loi sur le SCRS, adoptée en 1985. Cette loi n’a jamais fait l’objet d’une réforme en profondeur depuis son adoption.

Accès sur demande

Depuis quelques années, le gouvernement Trudeau permet à un premier ministre d’une province, s’il en fait la demande, d’obtenir la cote de sécurité nécessaire pour obtenir des breffages confidentiels du SCRS. Jusqu’ici, un seul leader provincial en a fait la demande, soit David Eby, de la Colombie-Britannique, dans la foulée des révélations selon lesquelles la Chine a utilisé des moyens sophistiqués pour influencer les résultats des élections fédérales de 2021 dans une poignée de circonscriptions de la province. Le régime communiste de Pékin aurait aussi tenté d’influencer les résultats des élections municipales à Vancouver.

M. Eby a soumis cette demande au printemps, selon des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Selon Michel Juneau-Katsuya, consultant en sécurité et ancien cadre au SCRS, les premiers ministres de toutes les provinces devraient automatiquement avoir accès aux renseignements confidentiels colligés par le SCRS. Pour ce faire, il faudrait modifier la Loi sur le SCRS.

Oui, cela devrait être quelque chose d’automatique. Il y a un énorme fossé qui existe entre ce que le fédéral sait au sujet de la sécurité nationale et ce qui est transmis aux provinces.

Michel Juneau-Katsuya, ancien cadre du SCRS

« Le problème auquel on est confronté et qui est exploité par les puissances étrangères, c’est que l’on a trois ordres de gouvernement, le fédéral, le provincial et le municipal. Et si la main droite ne parle pas à la main gauche, il y a des choses qui ne sont pas faites », a exposé M. Juneau-Katsuya.

Il a donné l’exemple des sommes importantes qu’investissent les provinces dans la recherche et le développement afin d’attirer des entreprises. Les provinces multiplient aussi les démarches afin d’attirer des étudiants étrangers pour participer aux programmes de recherches universitaires.

« Mais c’est là que tout se passe ! C’est là que le vol de propriété intellectuelle survient », a souligné l’ex-cadre du SCRS, en soulignant aussi le vol de secrets industriels chez Hydro-Québec.

« C’est vraiment une naïveté qui frise la stupidité. Mais c’est à cause de ce manque de communication qui existe entre le fédéral et les provinces. Il y a un manque de sensibilisation. Les provinces vont prendre toute sorte d’initiatives et perdre des secrets industriels parce que le gouvernement fédéral a décidé de limiter les possibilités de communiquer avec les autres. […] La Loi sur le SCRS est mal ficelée, et cela est de plus en plus décrié par plusieurs experts. »

M. Juneau-Katsuya a soutenu aussi que les premiers ministres des provinces devraient nommer un conseiller en matière de sécurité nationale au sein de leur bureau respectif, un poste qui existe depuis plusieurs années au bureau du premier ministre à Ottawa. « Cette personne deviendrait le pont qui fait la liaison entre le fédéral et la province. Elle serait aussi sur la ligne de front pour les enjeux de sécurité nationale. »

Avec la collaboration de William Leclerc