(Ottawa) Les conservateurs refusaient toujours vendredi de révéler comment ils voteront sur le projet de loi C-13 qui vise à moderniser la Loi sur les langues officielles, mais prétendent haut et fort que « c’est la zizanie » chez les libéraux.

« Nous avons entendu parler de tous les partis dans cette Chambre, sauf le Parti conservateur. C’est le grand mystère. Ils vont-tu appuyer le projet de loi, oui ou non ? », a envoyé la ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, lors du débat sur la troisième lecture du projet de loi.

Le porte-parole en matière de langues officielles, Joël Godin, a été visiblement irrité par cette seconde offensive provenant des banquettes du gouvernement.

« C’est quoi cet acharnement-là de connaître à l’avance la position d’un parti politique, a-t-il lancé. J’aimerais rappeler à la ministre que dans les procédures, les votes, c’est un droit parlementaire et si on veut respecter les pratiques, on vote en Chambre. […] Le Parti conservateur du Canada va être présent pour voter. »

La veille, M. Godin avait évité de répondre à une question de La Presse Canadienne quant à savoir si les troupes conservatrices ont décidé comment elles voteraient. « C’est une bonne question, avait-il dit en rigolant. Ce n’est pas important. » Et est-ce que ce sera un vote libre ? « Je ne vous répondrai pas », avait-il ajouté tout sourire.

Dans son discours de vendredi, M. Godin a lui aussi envoyé quelques flèches en notant des abstentions notables lors du vote de la veille sur l’étape du rapport - sur lesquels les députés peuvent voter en ligne -, notamment celles du ministre de la Justice, David Lametti, et du ministre du Patrimoine canadien et lieutenant pour le Québec « qui est le principal intéressé », Pablo Rodriguez.

Le député libéral de Mont-Royal, Anthony Housefather, avait été le seul parlementaire à voter contre.

Réagissant aux propos du député Godin, le cabinet du ministre Rodriguez a fait savoir que celui-ci est hors du pays au chevet de son père.

M. Godin a également insisté que les libéraux sont responsables de l’agenda et qu’ils ont choisi de tenir le débat un vendredi, « la journée où il y a le moins de temps de parole des députés ».

« Ils ne veulent pas en entendre parler, a-t-il lancé. Ils veulent passer ça sous le tapis. C’est sûr, ils se chicanent dans le caucus libéral. »

« Discussions robustes »

Lors d’une mêlée de presse, la ministre Petitpas Taylor a reconnu du bout des lèvres que « c’est sûr que oui, nous avons eu des conversations, des discussions robustes », mais elle assure qu’elle sent « très bien » l’appui des députés de son caucus.

Pourrait-il y avoir des voix discordantes lors du vote prévu lundi ? « Effectivement, comme parlementaires, nous sommes ici pour représenter nos commettants et nos commettantes, a indiqué la ministre. Ça fait que les députés vont absolument choisir le vote qu’ils vont faire. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Ginette Petitpas Taylor

Le cabinet du ministre de la Justice a coupé court à la rumeur qu’il voterait contre le projet de loi. « Comme vous l’avez dit dans votre courriel, le ministre Lametti votera toujours avec le gouvernement en tant que ministre », a répondu son attachée de presse en référant avec doigté au principe de solidarité ministérielle – qui veut que le Cabinet vote de la même façon – évoqué dans la question initiale.

Le premier ministre Justin Trudeau avait été forcé de clarifier dans les derniers mois que ses ministres devront tous voter en faveur de C-13 après que l’un d’eux, le Montréalais Marc Miller, eut ouvert la porte à faire le contraire s’il fait référence à la Charte de la langue française du Québec.

Cette référence est toujours présente des libéraux ont plaidé que cela ne devrait pas avoir de conséquences juridiques.

Quant au ministre Miller, il « soutient la position du gouvernement », a indiqué son bureau vendredi.

Message aux anglophones

En Chambre, Mme Petitpas Taylor a tenu à rassurer les anglophones du Québec que l’appui au français « n’est d’aucune façon une diminution de l’engagement » du gouvernement envers eux.

« Les dispositions de C-13 visant à protéger les minorités linguistiques et les institutions minoritaires s’appliquent à toutes les communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada, y compris les Québécois anglophones », a-t-elle déclaré pour que ça ne soit on ne peut plus clair.

À moins d’une surprise, le projet de loi devrait franchir l’étape de la troisième lecture puisqu’il a reçu l’appui du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique.

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Mario Beaulieu

Les bloquistes ne croient pas que C-13 est un bon projet de loi, a insisté leur porte-parole en matière de langues officielles, Mario Beaulieu.

« On dit qu’on va l’appuyer parce qu’on peut amener les choses jusque là en ce moment, mais il reste beaucoup de points qui restent insatisfaisants », a-t-il expliqué.

M. Beaulieu a énuméré la liste des demandes du gouvernement du Québec qui n’ont pas été satisfaites : la maîtrise d’œuvre de son aménagement linguistique sur son territoire, reconnaître que le français est la seule langue officielle minoritaire, une approche vraiment différenciée, que les mesures positives – que ce soit le français ou l’anglais – passent par le Québec.

Fait notable, le gouvernement du Québec avait trouvé un compromis avec les libéraux à la dernière minute de l’étude article par article pour amender le projet de loi de sorte que le régime fédéral soit « équivalent » à celui du Québec en ce qui a trait à l’usage du français dans les entreprises de compétence fédérale.

Tous les partis d’opposition, dont les néo-démocrates, s’étaient alors ralliés.

Le vote sur la troisième lecture devrait avoir lieu lundi après-midi. Le projet de loi cheminera ensuite vers le Sénat. Le gouvernement espère qu’il obtiendra la sanction royale d’ici l’ajournement des travaux pour l’été.