(Ottawa) La Commission sur l’état d’urgence a entendu les derniers témoignages des participants au « convoi de la liberté » vendredi. Tamara Lich, l’une des organisatrices de la manifestation, a affirmé que la police ne lui avait jamais demandé de quitter le centre-ville d’Ottawa, malgré des preuves indiquant le contraire.

Après le recours du gouvernement fédéral à la Loi sur les mesures d’urgence, des agents avaient pourtant distribué en personne des avis aux camionneurs qui paralysaient le centre-ville d’Ottawa leur indiquant qu’il devait partir sans quoi ils allaient être arrêtés. L’état d’urgence fédéral a été déclaré le 14 février, soit quatre jours avant le lancement d’une vaste opération policière pour déloger les manifestants.

« On ne m’a jamais dit de m’en aller », a-t-elle affirmé lors d’un contre-interrogatoire avec l’avocat de la police d’Ottawa, David Migicovsky.

Ce dernier lui a alors présenté un compte-rendu du travail des agents de liaison du service de police. Ceux-ci font état d’une rencontre le 16 février avec Tamara Lich et d’autres organisateurs dans un hôtel pour leur indiquer que le message leur avait été donné. Selon ce compte-rendu, elle pleurait parce qu’elle estimait que cela était injuste.

« J’étais bouleversée et je crois que je leur ai dit que je ne pouvais pas croire que vous faites ça à votre propre peuple, a-t-elle relaté. Nous étions là pour manifester de façon pacifique. »

Elle a dit ne pas se souvenir que la police leur avait alors demandé de quitter le centre-ville et de passer ce message aux autres participants du « convoi de la liberté ». « C’était suggéré », a-t-elle dit.

MMigicovsky lui a alors dit qu’elle avait une mémoire sélective.

Il lui a également présenté un courriel d’une avocate du « convoi de la liberté », qui lui avait été envoyé le 15 février, indiquant que la déclaration d’urgence pouvait limiter le droit de manifester et que les gens qui n’obtempéraient pas pouvaient être arrêtés. Elle a dit ne pas se souvenir avoir reçu ce courriel.

Le compte-rendu de Mme Lich s’est échelonné sur deux jours. Elle avait livré un témoignage parfois émotif la veille où elle racontait avoir décidé d’organiser le « convoi de la liberté » à Ottawa en réaction aux mesures sanitaires imposées pour limiter la propagation de la COVID-19. Elle et son conjoint avaient alors perdu leurs emplois en raison de ces restrictions.

« Je devenais de plus en plus alarmée par le préjudice que ces mesures infligeaient aux Canadiens, avait-elle affirmé. Et je sentais que je devais exercer mes droits démocratiques. »

Elle avait affirmé que la dernière chose qu’elle voulait était que les citoyens d’Ottawa se sentent harcelés par les centaines de camions qui bloquaient les rues du centre-ville et klaxonnait à toute heure du jour ou de la nuit. Elle avait également reconnu que le bruit des klaxons était « un peu trop pour elle » après deux jours, mais qu’elle ne les entendait pas beaucoup de sa chambre d’hôtel.

Mme Lich a été arrêtée le 17 février, la veille de l’opération policière pour mettre fin au convoi de camions, et fait face à diverses accusations, dont celle de méfait et d’incitation au méfait. Dans une vidéo de son arrestation présentée en preuve, elle dit aux autres manifestants de « tenir leur bout ». Les manifestants avaient l’intention de rester tant et aussi longtemps que l’obligation vaccinale pour les camionneurs qui effectuaient des voyages transfrontaliers ne serait pas levée par le gouvernement fédéral.

Elle a affirmé vendredi ignorer que le maire d’Ottawa, Jim Waston, l’ancien chef de la police d’Ottawa, Peter Sloly, le premier ministre Justin Trudeau et la ministre Chrystia Freeland avaient reçu des menaces de mort durant la manifestation. « Je recevais aussi des menaces de mort », a-t-elle fait valoir.

Le fondateur de Diagolon témoigne

L’ex-militaire et fondateur du groupe Diagolon, Jeremy Mackenzie et l’ex-tireur d’élite de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Daniel Bulford, ont également donné leur version des faits. M. Mackenzie est le fondateur du groupe Diagolon identifié comme un groupe néonazi canadien par le Réseau canadien anti-haine, une étiquette qu’il juge diffamatoire. Il jouit d’une certaine popularité sur les réseaux sociaux grâce à ses baladodiffusions et en a produit lors de sa participation au « convoi de la liberté ».

« Le travail du Réseau canadien anti-haine me cible », a-t-il affirmé. Il a accusé l’organisme, qui a déjà reçu des fonds fédéraux, d’effectuer des campagnes de salissage de gens qui sont « politiquement gênants » qui sont reprises par les médias traditionnels. Il soutient que son nom s’est retrouvé dans des rapports de renseignement de la Police provinciale de l’Ontario parce qu’il a critiqué le gouvernement fédéral et la GRC.

M. Mackenzie est présentement incarcéré en attendant un procès pour des accusations relatives aux armes à feu qui n’ont aucun lien avec le « convoi de la liberté ». Il a témoigné depuis le pénitencier de la Saskatchewan où il est incarcéré.

Il a admis connaître Christopher Lysak, l’une des personnes arrêtées lors d’une importante saisie d’armes à feu durant le blocage du poste frontalier de Coutts, en Alberta, qui se déroulait en même temps que le « convoi de la liberté ». Il a toutefois affirmé qu’il n’était pas en contact avec cette personne à ce moment-là et qu’il n’avait rien à voir avec ses activités là-bas. M. Lysak fait notamment face à des accusations de complot en vue d’assassiner des agents de la GRC, de menaces contre un agent de la GRC et de méfait. Son procès doit avoir lieu en 2023.

Deux écussons noirs avec une bande blanche diagonale représentant Diagolon, étaient visibles sur un des gilets pare-balles saisi par la GRC. Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Marco Mendicino, avait cité ces arrestations en exemple et leur lien avec un groupe d’extrême droite pour justifier le recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence en février.

L’enquête publique menée par le juge franco-ontarien Paul Rouleau doit déterminer si le gouvernement avait raison de déclarer l’état d’urgence et ainsi accorder des pouvoirs extraordinaires à la police et aux institutions financières pour mettre fin au « convoi de la liberté » et aux blocages de postes frontaliers ailleurs au pays.