Yulia Kovaliv ne dort pas beaucoup depuis qu’elle est arrivée au pays, il y a environ trois mois. Car l’ambassadrice de l’Ukraine à Ottawa se réveille en sursaut « presque chaque nuit » avec le son de sirènes de raids aériens que lui crache dans les oreilles l’application Тривога (« Alarme », en ukrainien). « Ici, c’est la ville où habitent mes parents. Il n’y a aucune alerte, alors ça va », dit-elle en montrant l’écran de son téléphone. Place, donc, à une entrevue réalisée vendredi, dont voici le compte rendu.

(Ottawa) Les diplomates russes au Canada

La cheffe de mission de Kyiv lève les yeux au ciel lorsqu’elle entend le nom d’Oleg Stepanov. « Jamais je ne l’ai rencontré. Et j’espère ne jamais le rencontrer non plus », lâche-t-elle en parlant de son homologue de la Russie à Ottawa. Les pays du G7 et de l’Union européenne qui ont expulsé des diplomates russes, elle les salue. « C’est une excellente chose à faire, et c’est une chose importante à faire, parce que la diplomatie, ça consiste aussi à établir des liens de confiance », plaide-t-elle. Le gouvernement Trudeau a résisté aux appels, dont ceux de l’ambassadrice de l’Ukraine et du Parti conservateur, à renvoyer des diplomates russes à la maison après le début de l’invasion, fin février.

Les sanctions canadiennes

L’annonce d’une nouvelle tranche de sanctions canadiennes, celle-ci visant des individus et entités de la machine de propagande russe, est applaudie par Yulia Kovaliv. « Quand la guerre a commencé, je pense qu’on a compris à quel point le monde avait sous-estimé la force de la propagande russe. L’information est une arme très puissante, et la Russie le comprend très bien », plaide-t-elle, attablée dans une pièce de l’ambassade de l’Ukraine à Ottawa. Parmi les acteurs visés par les sanctions figure Sumbatovich Gasparyan, chef du service international de la société de médias d’État Russia Today (RT).

La Russie et le G20

L’ambassadrice fait une pause de plusieurs secondes avant de trouver le mot juste. « Inacceptable ». Il serait inacceptable que Vladimir Poutine soit à la rencontre du G20 à Bali, en novembre prochain. « Il n’y a pas de place pour un pays qui commet des actes de terrorisme alimentaire et des actes de terrorisme énergétique, à une table où les autres pays discutent de développement économique », tranche-t-elle, non sans s’être moquée au préalable du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui a boudé des rencontres au sommet avec ses homologues du G20, vendredi, et qui est parti prématurément. « Il a quitté le G20 assez rapidement, je pense, non ? », lance-t-elle, sourire en coin.

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Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Russie, lors d’une rencontre avec ses homologues du G20, vendredi

Le plan Marshall ukrainien

Même si les missiles pleuvent toujours dans le ciel ukrainien, on songe déjà à rebâtir. Le prix ? Au moins 750 milliards sur 10 ans, a affirmé le président Volodymyr Zelensky il y a quelques jours, lors de la Conférence de Lugano sur la reconstruction de l’Ukraine. « Il y a des villes et des régions entières qui ont été détruites. Le volet le plus costaud, de 250 milliards, serait consacré au logement — la Russie a attaqué les résidences de façon brutale », explique Mme Kovaliv, spécialiste en économie. En même temps, le président russe, Vladimir Poutine, prétendait jeudi qu’il n’avait « pas encore commencé les choses sérieuses » en Ukraine. L’ambassadrice ne se montre pas très impressionnée : « Écoutez, on sait tous qu’il prévoyait prendre le contrôle de l’Ukraine en 24 heures, 36 heures, puis 72 heures. Et voici que nous voyons que la prétendue deuxième armée du monde met toute son énergie sur l’Ukraine… et qu’elle n’a pas le succès escompté. »

Le rêve de l’OTAN

Le projet de se joindre à l’alliance politico-militaire ne s’est pas évanoui, assure Yulia Kovaliv, qui a été cheffe de bureau adjointe au bureau du président Zelensky avant d’arriver au Canada. « Nous croyons que la politique de la porte ouverte de l’OTAN est toujours valable pour l’Ukraine. L’approbation des demandes d’adhésion de la Suède et de la Finlande est un moment historique, et c’est un exemple de cette politique de la porte ouverte. Le projet de se joindre à l’OTAN est dans notre Constitution, au même titre que celui de se joindre à l’Union européenne », indique-t-elle, se réjouissant que la candidature de l’Ukraine au bloc européen ait été acceptée en l’espace de quelques semaines plutôt que de plusieurs années.

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Yulia Kovaliv consulte l’application d’alertes qui l’avertit de raids aériens en Ukraine.

La turbine de la discorde

Une turbine construite et bloquée à l’usine Siemens Énergie à Dorval, qui empêche le gazoduc Nord Stream 1 reliant la Russie à l’Allemagne de fonctionner, est actuellement au cœur d’un différend entre l’Allemagne et le Canada. La société d’État russe Gazprom est incapable de la récupérer, parce qu’elle est frappée de sanctions d’Ottawa. L’Ukraine prie le Canada de s’assurer « du respect du régime de sanctions actuel », insiste l’ambassadrice, qui commence à suivre des cours de français et espère pouvoir converser dans la langue de Molière d’ici quelques mois.