En cette dernière rentrée parlementaire avant les élections, les partis de l’opposition fourbissent leurs armes. Alors que les sondages montrent des signes d’insatisfaction envers le gouvernement, il leur reste 244 jours d’ici au prochain scrutin pour attaquer François Legault et convaincre les électeurs qu’ils forment un gouvernement en attente. Y parviendront-ils ?

(Québec) Dominique Anglade n’était pas inquiète l’automne dernier de l’attention qu’obtenait Gabriel Nadeau-Dubois dans ses premiers échanges à titre de chef parlementaire de Québec solidaire (QS) avec François Legault. « Je n’étais pas surprise. C’était un nouveau joueur », analyse la cheffe de l’opposition officielle, qui répète comme un mantra que « l’alternative à la Coalition avenir Québec », c’est le Parti libéral (PLQ).

« Les libéraux ont été au pouvoir pendant 15 ans. Ils sont les grands responsables de l’état lamentable dans lequel notre système de santé se trouve. C’est difficile [pour eux] d’être crédibles dans leur opposition à François Legault », réplique M. Nadeau-Dubois.

Peu importe, « Québec solidaire et les libéraux ont une approche antinationaliste », ce qui rend le Parti québécois (PQ) distinctif, renchérit Paul St-Pierre Plamondon. Mais pour Éric Duhaime, qui tente de s’imposer avec le Parti conservateur du Québec (PCQ), les autres chefs manquent de vigueur face au gouvernement. « Nous, on ne collabore pas avec la CAQ », martèle-t-il.

Alors que les travaux parlementaires reprennent ce mardi à l’Assemblée nationale, la table est mise pour une dernière session avant les élections et, surtout, 244 jours de débats qui s’annoncent hauts en couleur.

Un électorat à convaincre

En plus de viser le gouvernement, les critiques de l’opposition seront aussi destinées au cours des prochains mois aux autres partis qui aspirent à gouverner. Selon le plus récent sondage Léger, publié au début du mois de janvier dans Le Journal de Québec, les partis de l’opposition récoltent ensemble 56 % des intentions de vote. Ces électeurs sont toutefois fractionnés en quatre camps plus ou moins serrés (PLQ 20 %, QS 14 %, PQ 11 % et PCQ 11 %).

Geneviève Tellier, professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, explique que les chefs des partis de l’opposition tenteront de se distinguer en projetant cet hiver l’étoffe d’un leader. « Montrer qu’ils ont une vision, qu’ils ont une autorité, qu’ils sont capables d’affronter l’adversité, mais qu’ils sont aussi rassurants », dit-elle. Et dans cette mission, gare aux partis qui s’opposeront à tout sans offrir de solutions de rechange.

S’opposer pour s’opposer, c’est facile, mais le fait de trouver les bons thèmes qui posent problème et de les porter à l’attention de tout le monde, c’est ce qui est le plus payant.

Geneviève Tellier, professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa

Changer de cible

Dans un premier temps, la cheffe de l’opposition officielle, Dominique Anglade, poursuivra un virage à gauche de sa formation politique et « une certaine rupture avec [l’époque où] elle était ministre de Philippe Couillard », prédit Éric Montigny, directeur scientifique de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires et professeur au département de science politique de l’Université Laval.

Selon lui, son principal ennemi sera l’incohérence. « Un PLQ qui prônait la fin de l’urgence sanitaire à l’automne et qui, tout de suite après, dit que le gouvernement n’en fait pas assez, qu’il a perdu le contrôle, il y a un problème de cohérence. Et quand il y a trop de problèmes de cohérence, les gens décrochent », dit-il.

Gabriel Nadeau-Dubois, qui a été choisi par Québec solidaire pour aspirer au titre de premier ministre, doit poursuivre sur sa lancée de l’automne dernier, croit Geneviève Tellier. « Québec solidaire a été capable d’identifier les failles du gouvernement et […] de talonner le gouvernement sur des enjeux réels », analyse-t-elle.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

François Legault, premier ministre du Québec

Thierry Giasson, professeur au département de science politique de l’Université Laval et chercheur principal du Groupe de recherche en communication politique, avance toutefois que « le premier ministre a voulu présenter Gabriel Nadeau-Dubois comme sa véritable opposition de manière à discréditer Dominique Anglade et les libéraux ».

« À l’automne, [le gouvernement s’est] rendu compte que c’était plus payant [pour lui] de miser sur Gabriel Nadeau-Dubois et de le diaboliser pour créer une polarisation dans l’échiquier politique », dit-il en rappelant l’épisode des débats sur le terme woke.

Le danger d’être associé à un enjeu

Selon le plus récent coup de sonde de la firme Léger, le Parti québécois et le Parti conservateur du Québec obtiennent tous les deux 11 % des intentions de vote. Le principal danger pour ces deux partis, observe la politologue Geneviève Tellier, est d’incarner une seule idée politique.

« Si [Éric Duhaime] veut espérer en faire plus, il doit déborder du thème de l’antivaccin dans lequel il est cantonné », dit-elle.

Selon Éric Montigny, le chef Éric Duhaime aurait pu bâtir un Parti conservateur classique, « mais il a fait le choix d’avoir un discours populiste ». Résultat : « C’est devenu le parti d’un enjeu, intimement lié à la colère. »

« On l’a vu l’automne dernier, quand les mesures sanitaires étaient desserrées, son appui baissait. […] Si la crise s’étire, pour lui, il voit des gains », affirme le professeur à l’Université Laval.

Pour le Parti québécois, à qui l’on répète depuis des années qu’il joue sa survie, l’élection partielle qui sera bientôt déclenchée dans la circonscription de Marie-Victorin, qu’il avait remportée lors du dernier scrutin, sera capitale. « Ils ne peuvent pas perdre ce comté-là », affirme Thierry Giasson.

Mais aux péquistes qui ont tout misé sur l’indépendance lors de leur dernier congrès de refondation, à l’automne 2019, rester campé sur la question nationale va poser problème, croit Mme Tellier.

« Comme pour le Parti conservateur qui est le parti d’un seul thème, le PQ pourrait le devenir. Il doit élargir son discours en disant qu’il n’est pas juste nationaliste québécois, mais aussi une gauche plus pragmatique », observe la politologue.

Qui veut le siège de Legault ?

Ils sont tous nouvellement élus chef de leur parti et ils incarnent chacun à leur façon une nouvelle génération de politiciens. Différents sur le plan idéologique, ils partagent une chose en cette année électorale : vouloir devenir premier ministre et faire bouger l’opinion publique, alors que les récents sondages donnent toujours une bonne avance au gouvernement de la Coalition avenir Québec.

Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

Âge : 48 ans

Formation : maîtrise en administration des affaires et baccalauréat en génie industriel

Fonctions antérieures : ministre et vice-première ministre au sein du gouvernement Couillard, ex-présidente-directrice générale de Montréal International

Ce qu’elle veut incarner : « Je veux une approche inclusive, non pas divisive, une approche qui est progressiste. Notre économie doit être au service de l’environnement et des enjeux sociaux. C’est un changement de paradigme énorme. Ceux qui veulent parler d’une économie moderne, qu’ils se tournent vers nous. »

Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

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Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

Âge : 31 ans

Formation : maîtrise en sociologie et études en histoire et en philosophie

Fonctions antérieures : leader parlementaire de Québec solidaire, élu député de Gouin à une élection partielle en 2017. Auparavant chroniqueur invité à Radio-Canada et conseiller syndical.

Ce qu’il veut incarner : « On représente sur le fond des choses un projet différent, une vision différente de celle de [la Coalition avenir Québec]. Notre objectif, c’est de montrer aux Québécois et aux Québécoises qu’on a une vision cohérente et sérieuse pour le Québec. »

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

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Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Âge : 44 ans

Formation : maîtrise en administration des affaires et baccalauréat en droit civil et en common law

Fonctions antérieures : avant son élection à titre de chef du Parti québécois, il a pratiqué le métier d’avocat et il était chroniqueur invité à l’émission Bazzo TV. Il n’est toujours pas élu député à l’Assemblée nationale.

Ce qu’il veut incarner : « Plusieurs Québécois en ont ras le bol de la CAQ et sont ouverts pour entendre autre chose. On est le seul parti nationaliste qui est en mesure d’offrir une alternative […] avec franchise et détermination. »

Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec

Âge : 52 ans

Formation : maîtrise en administration publique et baccalauréat en science politique

Fonctions antérieures : avant son élection à titre de chef du Parti conservateur du Québec, il a été animateur et chroniqueur à la radio et dans différents médias. Il a également occupé le poste de conseiller politique pour l’ancienne Action démocratique du Québec (ADQ) et au Bloc québécois. Il n’est toujours pas élu député à l’Assemblée nationale.

Ce qu’il veut incarner : « On est opposés à la gestion de crise actuelle et la prochaine session, ce qui va retenir l’attention, c’est surtout la sortie de crise. […] Si on a eu les pires mesures sanitaires, c’est parce que notre système de santé a été le moins performant et le plus inefficace. C’est pour ça qu’il faut réformer ce système. »