(Ottawa) La sécurité des élus est préoccupante. La multiplication des menaces en ligne et des incidents violents, notamment au Royaume-Uni, où un député conservateur a été assassiné, il y a un mois, doit mener à un examen approfondi des mesures de protection offertes aux élus, qu’ils œuvrent sur la scène municipale, provinciale ou fédérale.

Membre influent du gouvernement Trudeau, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, s’inquiète à voix haute de voir les menaces qui se multiplient sur les réseaux sociaux à l’endroit d’élus. À terme, ce fléau risque de dissuader des gens de talent de briguer les suffrages si rien n’est fait. La vitalité des institutions démocratiques pourrait en souffrir.

« On a une réflexion à faire. Il faut tirer des leçons de ce qu’on a vu et prévenir ce qui pourrait arriver », affirme sans ambages le ministre Champagne dans une entrevue avec La Presse.

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François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

On l’a vu durant la dernière campagne électorale. On l’a vu de façon très tragique en Angleterre. Je pense qu’il faut prévenir et faire cela tout en respectant le choix de chacun et chacune des élus.

François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

M. Champagne n’a pas voulu dire s’il avait lui-même été la cible de menaces au cours des derniers mois, comme l’ont été certains de ses collègues sur la scène fédérale. Mais il a indiqué avoir développé le réflexe, au cours des dernières années, d’observer l’environnement dans lequel il se trouve par mesure de précaution.

Cela dit, M. Champagne devient l’un des premiers élus fédéraux à lancer un tel cri du cœur sur l’importance d’assurer une sécurité adéquate à ceux qui reçoivent un mandat démocratique des électeurs.

Au Québec, plusieurs maires ont décidé de faire un trait sur leur carrière politique à cause des propos violents et des insultes dont ils étaient la cible sur les réseaux sociaux. Il faut éviter que cela ne devienne une tendance lourde, d’autant qu’il ne faut pas exclure « une escalade de certains comportements qui passent des réseaux sociaux dans le monde réel ».

« Il faut préserver nos institutions démocratiques. Cela s’applique aux élus fédéraux comme aux élus provinciaux et municipaux. L’enjeu, c’est la sécurité des élus pour préserver le discours public. Dans une démocratie, il y a un échange d’idées, il y a des gens qui peuvent être d’accord ou en désaccord avec ce que les élus mettent de l’avant. Je crois que c’est important d’avoir un cadre sécuritaire parce que si on veut attirer plus de gens en politique, il faut permettre à chacun et chacune de se sentir capable d’exercer pleinement ses fonctions démocratiques sans avoir à craindre pour sa propre sécurité. »

Incidents répétés

Durant la dernière campagne fédérale, Justin Trudeau a été pris à partie à maintes reprises par des manifestants antivaccins lors de rassemblements en Ontario. Certains sont allés jusqu’à lui lancer des cailloux au moment où il regagnait l’autocar de campagne, le couvrant d’injures.

L’an dernier, la Chambre des communes a décidé de renforcer la sécurité des élus à la suite d’une augmentation du nombre d’incidents menaçants. Les députés qui le souhaitent peuvent maintenant faire installer des caméras de surveillance à leur domicile, ou obtenir une protection policière, si cela s’avère nécessaire. Tous les députés se voient aussi remettre un avertisseur individuel mobile qui, une fois activé, permet d’alerter un centre de surveillance tiers.

Mais des mesures supplémentaires devraient être envisagées pour les ministres, qui occupent souvent le devant de la scène politique en raison de leurs fonctions.

Des ministres fédéraux ont déjà craint pour leur sécurité. On n’a qu’à penser à Catherine McKenna, qui a été insultée – « Fuck you, Barbie du climat » – et suivie par un individu alors qu’elle se rendait au cinéma avec ses enfants au centre-ville d’Ottawa, en 2019.

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Catherine McKenna, ex-ministre de l’Environnement

Elle avait dû se résigner à demander un encadrement sécuritaire. « Le problème, c’est que j’étais avec mes enfants. C’est une chose quand ça se passe sur les réseaux sociaux, c’en est une autre quand je suis avec mes enfants », expliquait-elle à La Presse quelques mois après les faits.

L’ex-ministre de l’Environnement, dont le bureau de circonscription a aussi été vandalisé après les élections de 2019, a préféré ne pas revenir sur le sujet puisqu’elle n’est « plus ministre et [se] concentre sur l’action sur les changements climatiques », a-t-elle dit.

Avant elle, Maryam Monsef a également fait l’objet d’une protection plus serrée. En 2016, alors qu’elle était ministre des Institutions démocratiques, le journal local de Peterborough l’avait aperçue avec des agents de la GRC autour d’elle.

Le modèle québécois, un exemple ?

Sur l’autre colline, à Québec, tous les ministres et tous les chefs d’opposition bénéficient de la protection d’un garde du corps du ministère de la Sécurité publique, en tout temps.

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À Québec, tous les ministres et tous les chefs de l’opposition bénéficient de la protection d’un garde du corps du ministère de la Sécurité publique, en tout temps.

Ces agents ne doivent jamais trop s’éloigner de leur protégé, peu importe l’endroit où il se trouve – que ce soit dans la capitale nationale, dans sa circonscription ou lors de tout autre déplacement.

Le premier ministre du Québec, quant à lui, est gardé par des agents de la Sûreté du Québec (SQ). À Ottawa, ce sont des agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qui escortent le premier ministre du Canada. Les chefs des partis de l’opposition n’ont pas droit à de telles mesures de sécurité.

Le gouvernement Legault n’a pas voulu en dire davantage sur l’enjeu de la sécurité ni rendre un ministre disponible pour une entrevue.

Selon le ministre François-Philippe Champagne, le modèle québécois devrait être envisagé à Ottawa. D’autant que les ministres du gouvernement fédéral obtiennent des services de sécurité « minimalistes » quand ils se trouvent dans la capitale fédérale. À l’extérieur d’Ottawa, ils doivent se rabattre sur un adjoint pour se déplacer ou encore conduire eux-mêmes leur véhicule.

C’est la grande différence entre le modèle de Québec et celui au niveau fédéral. À Québec, c’est axé sur l’aspect sécurité tandis qu’ici [à Ottawa], c’est plus l’aspect fonctionnel.

François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

Durant une récente conférence de presse en Estrie en compagnie de deux ministres du gouvernement Legault, Pierre Fitzgibbon et Christian Dubé, M. Champagne était le seul des trois à se rendre par ses propres moyens sur les lieux. Sur place, ce sont les gardes du corps de ses collègues provinciaux qui ont communiqué avec lui pour lui indiquer l’accès le plus sécuritaire à l’évènement, où se trouvaient quelques manifestants.

En vertu du Règlement sur la Gendarmerie royale du Canada, les agents de la police fédérale sont tenus de protéger les ministres fédéraux, mais « d’après l’évaluation, par la Gendarmerie, de la menace ou du risque à la sécurité de la personne ».

Plaidoyer d’un ancien chef de cabinet

Dans un récent texte publié dans L’actualité, Yan Plante, ancien chef de cabinet de l’ex-ministre des Transports Denis Lebel dans le gouvernement conservateur de Stephen Harper, a fait un vibrant plaidoyer pour une sécurité accrue des ministres fédéraux.

« Quand j’étais chef de cabinet d’un ministre du gouvernement Harper, j’étais de ceux qui militaient ardemment – mais sans succès – pour que le Canada protège mieux ses élus, particulièrement ses ministres. L’assassinat d’un deuxième député au Royaume-Uni, lors d’un évènement dans sa circonscription, m’a rappelé l’importance de cette préoccupation : ce type de crime pourrait arriver au Canada. Le temps est venu d’assurer une protection 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 à nos ministres canadiens, et d’offrir un soutien adéquat (en fonction du risque) aux autres élus. Ce n’est pas le cas présentement », a-t-il notamment soutenu dans un long texte.

Lorsqu’il était proche collaborateur de Denis Lebel, M. Plante affirme qu’il s’assurait que l’on embauche autant que possible d’anciens combattants ou des membres actifs de la réserve des Forces armées canadiennes pour être chauffeurs du ministre. De cette manière, le chauffeur serait en mesure d’offrir une protection plus complète au ministre, à défaut de garde du corps.