(Québec) Les petites et moyennes entreprises craignent que la réforme de la Charte de la langue française les étouffe sous un nouveau fardeau administratif, alors qu’elles peinent à se relever des contrecoups économiques provoqués par la pandémie.

En entrevue avec La Presse, le vice-président Québec de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), François Vincent, ne s’explique pas non plus que son organisation n’ait pas été invitée aux consultations publiques du projet de loi 96 du ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, qui ont débuté mardi.

« Il a fallu beaucoup d’ingéniosité pour exclure l’organisation qui représente les PME du Québec. […] Le ministre veut éviter de discuter avec des groupes qui peuvent avoir des critiques et y aller avec les [intervenants] les plus favorables », déplore-t-il.

La FCEI a estimé le coût que représente l’assujettissement des entreprises de 25 à 49 employés au processus de francisation prévu par la Charte, qui s’élèverait à lui seul entre 9 et 25,5 millions pour les PME du Québec. La Fédération demande au gouvernement d’établir un processus allégé de francisation ou de les exclure de cette démarche, tout simplement.

Protéger l’attrait du bilinguisme

La réforme de la loi 101, que le ministre Jolin-Barrette a qualifiée de « priorité nationale », mardi, ne doit pas servir à dévaloriser la promotion du bilinguisme au Québec, estime pour sa part le président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), Charles Milliard.

« La planète continue quand même de travailler, au niveau des affaires, foncièrement en anglais », affirme-t-il, craignant à son tour que certains volets du projet de loi imposent un fardeau supplémentaire aux entreprises.

« Si on avait dit que pour venir au Québec, vous devez déjà parler français et [que] les équipes doivent fonctionner en français, il n’y aurait pas d’intelligence artificielle à Montréal », prévient à son tour le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), Michel Leblanc.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Si Montréal veut être à la fine pointe dans les effets spéciaux, dans l’industrie du jeu vidéo, si on veut être dans des dynamiques où on a des sièges sociaux ici qui soient pancanadiens, ou internationaux, il faut trouver une façon d’accepter que la langue d’affaires [quand on va à l’international] soit l’anglais.

Michel Leblanc, président et chef de la direction de la CCMM

« L’idée, ce n’est pas de tirer les enjeux sociétaux dans les entreprises en disant qu’un employé devrait dénoncer une réunion qui se passe en anglais avec des gens de Vancouver ou de Toronto. Mais quand un employé [quitte la réunion] et va à l’épicerie du coin, quand ses enfants vont à l’école, [il] est dans une société [...] francophone », ajoute-t-il, précisant mercredi que la langue d’affaire à Montréal est le français.

Dans son projet de loi, Québec veut garantir le droit de travailler en français au sein de l’État québécois ainsi que baliser l’exigence de la connaissance d’une autre langue que le français à l’embauche dans les secteurs privé et public.

Faire des affaires en français

Selon Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec, « notre société se démarque de toutes les sociétés à travers le monde [avec sa] capacité d’avoir du bilinguisme, [ce qui est] un tremplin pour les entreprises d’ici pour qu’elles puissent aller partout dans le monde faire des affaires ».

Malgré tout, le milieu économique est aussi sensible à l’enjeu de la protection de la langue française, assure Charles Milliard.

PHOTO FOURNIE PAR LA FCCQ

La responsabilité du milieu économique est de faire atterrir l’avion du gouvernement. On s’entend sur le principe, on veut protéger et promouvoir le français comme langue de travail, mais il faut faire atterrir ça dans les détails.

Charles Milliard, président-directeur général de la FCCQ

Michel Leblanc, de la CCMM, estime aussi que le gouvernement est justifié d’agir en protection du français afin de préserver la « paix linguistique ».

« Quand la population est inquiète, ça crée des incidents qui peuvent être fâcheux, disgracieux, se retrouver dans les médias internationaux, ce qui crée des situations où c’est plus difficile d’attirer les talents et les investisseurs », explique-t-il.

Les grandes centrales syndicales (autant la CSN, la FTQ, la CSQ que le SCFP) soutiennent de leur côté l’intention du gouvernement d’interdire aux employeurs d’exiger la connaissance de l’anglais pour des postes qui ne le nécessitent pas. Selon la CSN, exiger systématiquement une connaissance de l’anglais à l’embauche, « même [quand c’est présenté] comme un atout, participe à l’anglicisation des milieux de travail ».