Le refus des grutiers de reprendre le travail malgré une ordonnance du Tribunal du travail provoque ce matin une certaine stupeur dans l'industrie.

Jeudi soir, le juge Alain Turcotte, estimant que la grève illégale des grutiers provoque des préjudices «sérieux et irréparables», a ordonné aux ouvriers de reprendre l'ouvrage immédiatement.

En défiant l'ordonnance, les grutiers s'exposent à des accusations d'outrage au tribunal, et pourraient écoper d'amendes allant jusqu'à 10 000 $, voire l'emprisonnement. Les syndicats et associations syndicales qui les chapeautent - la FTQ-Construction et le Conseil provincial international des métiers de la construction - risquent pour leur part des amendes de 100 000 $.

«Des amendes, il y en aura tant qu'ils voudront, ils peuvent me mettre en prison s'ils le veulent, je ne retourne pas travailler», lance Daniel, un grutier du nouveau pont Champlain venu manifester ce matin devant le chantier de la Maison Radio-Canada.

«J'ai sacrifié sept mois de ma vie pour apprendre mon métier. C'est pas vrai qu'on va accepter que n'importe qui puisse maintenant faire notre job par en arrière avec une petite formation de rien du tout. Moi aussi j'aimerais ça être pilote d'avion, mais ce n'est pas possible, je ne peux pas le devenir du jour au lendemain avec une formation bâclée. La même logique doit s'appliquer aux grutiers», a-t-il ajouté. 

D'autres sources dans l'industrie de la construction ont dit être en train d'évaluer la stratégie à adopter. Personne ne s'attendait vraiment à ce que les grutiers défient l'ordonnance du Tribunal administratif du travail.

Mise en tutelle?

Aucun des syndicats n'a répondu à nos appels ce matin. En principe, la FTQ-Construction pourrait mettre fin à son affiliation avec l'Union des opérateurs grutiers (section locale 791g) s'ils «refusent de respecter les lois et réglements relatifs à l'industrie de la construction». Questionné hier à savoir si une mise en tutelle du syndicat était envisageable, le porte-parole de la FTQ-Construction, Philippe Lapointe, a dit qu'une telle possibilité était «à évaluer». Il a cependant refusé de commenter davantage en soirée. 

Le consortium Signature sur le Saint-Laurent, maître d'oeuvre du chantier du nouveau pont Champlain, confirme à La Presse qu'aucun grutier n'est rentré ce matin en dépit de l'ordonnance. Depuis une semaine, l'absence des grutiers empêche l'installation du quatrième voussoir de la section suspendue du pont, le segment le plus complexe de l'ouvrage. Ces immenses pièces de béton et d'acier composant le tablier suspendu doivent impérativement être hissées par plusieurs appareils de levage opérés par des grutiers. «Il y a quand même des activités sur le chantier, mais elles sont limitées», confirme une porte-parole du consortium.

Les ouvriers contestent un nouveau règlement qui permet à des ouvriers non spécialisés d'opérer de façon limitée des camions-flèche (boom truck), essentiellement pour hisser de la marchandise sur des toits d'immeubles. Les règles de préqualification permettant d'accéder à une formation de 2000 heures ont aussi été simplifiées lorsque l'industrie est en situation de pénurie.

Le ministère du Travail et la Commission de la construction affirment que les grutiers ont créé un faux débat prétendant sur la place publique que ce sont des questions de santé et sécurité qui ont provoqué le débrayage. Le nouveau règlement «vient au contraire renforcer la formation qui avait déjà cours» avant l'adoption du règlement, affirme Florent Tanlet, l'attaché de presse de la ministre du Travail Dominique Vien. «En cas de pénurie, plutôt que ce soient quelques privilégiés qui en profitent, le règlement permet à un nombre restreint d'ouvrier de suivre une formation de 150 heures pour se préqualifier. Sous l'ancien régime, cette formation était de 45 heures. C'est beaucoup plus rigoureux que ce l'était», affirme-t-il.