Quand Ron Piovesan a quitté Toronto pour aller travailler aux États-Unis en 2001, l'attitude de son nouveau pays envers les armes à feu ne l'a pas dissuadé de s'y installer.

C'est seulement après la naissance de ses enfants que la multiplication des manchettes traitant de la violence par les armes - comme la fusillade qui a récemment fait 17 morts dans une école secondaire de la Floride - a commencé à lui peser un peu plus lourd.

«Ça finit par s'accumuler, et je ne sais pas à quel moment ça chavire, mais tu en arrives à un point où tu te dis: 'Je ne veux pas que mes enfants continuent à avoir peur'», explique le père de deux enfants, qui peine à contenir ses émotions en décrivant comment ses enfants ont dû participer à des exercices effrayants de confinement barricadé à leur école primaire.

«Ça frappe beaucoup plus dur et ça fait beaucoup plus mal quand tu as des enfants qui fréquentent l'école - le problème devient beaucoup plus concret.»

Malgré tout, l'homme de 46 ans, qui travaille dans le secteur technologique, n'a pas l'intention de déraciner sa famille pour rentrer au Canada.

«Pour le moment, je choisis de rester et d'essayer de changer les choses au sein de ma communauté», explique M. Piovesan qui, l'an dernier, a orchestré une campagne ayant permis d'empêcher l'ouverture d'une nouvelle boutique d'armes à feu à San Carlos, en Californie, où il habite.

Même son de cloche du côté de Dawn Robertson, une avocate déménagée à San Francisco il y a quatre ans quand son mari Mark Beltzner a été embauché par Pinterest, puis plus récemment par Facebook.

Ils n'ont jamais envisagé de revenir à Toronto, mais la multiplication des fusillades les inquiète de plus en plus.

«C'est une de ces choses qui, même si elle vous arrive à vous, donne quand même l'impression qu'elle ne peut pas vous arriver, affirme la femme de 41 ans. Mais je pense certainement qu'avec Parkland et plus récemment avec YouTube qui est proche de nous, on s'inquiète de plus en plus - en tant que gens qui n'ont pas le droit de voter ici - du fait que c'est un problème grave de sécurité publique [...] qui, soudainement, nous inquiète pour nous et nos enfants.»

«C'est certain qu'on y pense beaucoup. Ce n'est pas assez pour qu'on rebrousse chemin et qu'on déménage, mais ça nous fait assurément réfléchir.»

La culture des armes

Zoe Kevork, une avocate spécialiste de l'immigration qui préside le chapitre du groupe Canadians Abroad dans le sud de la Californie, prévient que la culture des armes passe souvent sous le radar de ceux qui envisagent de déménager au sud de la frontière.

«Les gens pensent que nous sommes similaires, [...] nous sommes de l'autre côté de la frontière, on regarde la même télévision, culturellement nous avons tellement de choses en commun, explique-t-elle. Mais on finit par réaliser qu'il y a des différences culturelles importantes auxquelles on n'avait pas pensé avant d'emménager ici.»

Mme Kevork, qui habite aux États-Unis depuis 14 ans, affirme qu'elle est encore choquée quand une nouvelle fusillade survient, même si elle constate que les Américains semblent moins ébranlés qu'auparavant.

«Je suis heureuse d'être encore choquée parce qu'ils y sont tellement habitués ici, ça fait simplement partie de la vie. Je pense que cette capacité à être choqués est ce qui fait de nous des Canadiens en ce moment», poursuit-elle.

«Nous sommes beaucoup plus au diapason ces jours-ci de ces choses qui nous différencient en tant que Canadiens, que ce soit la culture des armes, notre traitement des réfugiés ou notre traitement des immigrants en général», ajoute Mme Kevork.

M. Piovesan ne serait pas surpris si certains Canadiens venus profiter des occasions d'emploi en Californie ou ailleurs commençaient à penser à rentrer au pays.

«Je crois que nous sommes nombreux à avoir pensé: 'Oh, je n'y retournerai jamais', mais je pense qu'au fur et à mesure que la situation se détériore aux États-Unis, il va finir par y avoir un moment où les gens vont se dire que le jeu n'en vaut plus la chandelle.»