Le Bureau de la sécurité des transports (BST) porte un jugement sévère à l'endroit de Croisières Essipit, l'entreprise qui opérait le Zodiac qui est entré en collision avec une baleine dans le Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent en août 2016.

Dans son rapport déposé mardi, l'organisme indépendant dresse un portrait sombre de la sécurité qui régnait à bord de l'embarcation.

En entrevue, François Dumont, l'enquêteur principal régional pour le BST, évoque, entre autres, l'absence d'un système de récupération d'homme à la mer, des bouées de sauvetage inutilisables et l'absence, par la compagnie, d'une évaluation des risques.

La collision avec l'«objet non identifié» - que le BST soupçonne être une baleine bleue - est survenue le 29 août 2016 au large de Les Bergeronnes, sur la Côte-Nord.

Sous la force de l'impact, deux personnes - un passager et le capitaine - ont été éjectées de l'Aventure 6, une embarcation pneumatique à coque rigide. Sept autres passagers se trouvaient à bord.

Au moment de la collision, survenue à 12 h 23, l'embarcation quittait une zone d'observation de baleines pour se diriger vers un autre site d'observation. La vitesse de l'embarcation était alors de 21,6 noeuds.

Les deux moteurs hors-bord ont percuté la baleine. Ils ont été endommagés et ont cessé de fonctionner. «Le navire était alors à la dérive et s'éloignait des deux personnes tombées à l'eau», rapporte M. Dumont.

Celles-ci ont souffert d'hypothermie et étaient incapables de nager.

Les bouées de sauvetage n'ont pu être déployées puisque l'utilisation d'un couteau était nécessaire pour défaire les sangles. Les passagers n'avaient pas été informés de la manière d'utiliser l'équipement de secours. Ils n'ont donc pas pu envoyer des signaux de détresse pyrotechniques ou encore transmettre un appel de détresse.

Un des passagers a finalement réussi à redémarrer l'un des deux moteurs, il a manoeuvré le bateau pour se rapprocher des deux personnes passées par-dessus bord.

«Étant donné que l'Aventure 6 n'avait pas d'équipement de récupération d'homme à la mer, alors que c'était requis, il a été très fastidieux pour les passagers demeurés à bord de l'embarcation de rembarquer les victimes», explique M. Dumont. Le capitaine a d'ailleurs subi une blessure à l'épaule à ce moment.

Les deux personnes éjectées ont passé, en tout, 7 minutes dans les eaux froides. Elles portaient toutes deux des manteaux de flottaison.

En plus des manquements à la sécurité à bord de l'embarcation, le BST pointe également du doigt l'absence d'un exercice d'évaluation des risques mené par la compagnie.

La vitesse maximale tolérée dans le Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent est de 25 noeuds. François Dumont déplore que cette limite soit suivie «aveuglément».

«La science démontre que dans les eaux où il y a présence de baleines, le navire ne devrait pas évoluer à plus de 10 noeuds pour permettre aux baleines d'éviter la collision et à l'opérateur de voir la baleine pour éviter la collision», fait-il valoir.

Face à l'urgence de la situation, le BST n'a pas voulu attendre le dépôt du rapport d'enquête et a envoyé après l'accident une lettre à Croisières Essipit et à cinq autres compagnies qui offrent des croisières d'observation de mammifères marins pour que des correctifs soient apportés rapidement.

Une copie de la lettre a également été envoyée à Transport Canada, à la Commission des transports du Québec et aux cogestionnaires du parc marin: la Société des établissements de plein air du Québec (SÉPAQ) et Parcs Canada.

Selon le BST, Croisières Essipit aurait remis à neuf son équipement de sécurité, en plus de revoir les informations relatives à la sécurité fournies aux passagers avant le départ.

Par ailleurs, le BST réitère sa recommandation, formulée en juin dernier, dans la foulée du chavirement du navire d'observation de baleines Leviathan II survenu en 2015 au large de Tofino en Colombie-Britannique.

L'organisme demande à Transports Canada «d'exiger que les exploitants de navires à passagers commerciaux adoptent des processus explicites de gestion des risques». Le BST suggère également la mise en place d'un mécanisme de surveillance de ce processus.

Croisières Essipit réagit

Dans une déclaration écrite envoyée à La Presse canadienne, Croisières Essipit dit accueillir «avec satisfaction» le rapport d'enquête qui devrait permettre «d'éclaircir les zones grises et les flous qui existent présentement dans la réglementation».

L'entreprise maintient que ses employés «respectent les standards de sécurité parmi les plus élevés de l'industrie». Ceux-ci sont toutefois «régis par un ensemble de règlements imprécis dont les directives issues de diverses agences et ministères fédéraux ou provinciaux sont parfois contradictoires».

Croisières Essipit exprime à nouveau ses regrets aux deux personnes qui ont été projetées à l'extérieur de l'embarcation. L'entreprise dit avoir mis en place différents correctifs dès les lendemains de l'incident, «et d'autres continueront de l'être dans la foulée de l'éclaircissement et l'évolution de la réglementation».