Alors que le nouveau gouvernement de Justin Trudeau s'apprête à planifier la délicate légalisation de la marijuana, des experts de l'industrie soulignent que les conservateurs ont mis la table pour offrir un commerce de très haut calibre.

Chuck Rifici, cofondateur du tout premier producteur canadien de marijuana coté en bourse, soutient que grâce au programme de cannabis thérapeutique, le Canada a déjà acquis ses lettres de noblesse en matière de production et de distribution. M. Rifici, aussi directeur - bénévole - des finances au bureau national de direction du Parti libéral du Canada, attribue d'ailleurs à Stephen Harper le mérite d'avoir construit, à grands frais, toute l'infrastructure entourant la marijuana « légale ».

« Je suis sûr qu'il ne sera pas particulièrement fier de lire ça dans son bilan politique, mais je crois que seul un gouvernement conservateur pouvait adopter le Règlement sur la marijuana à des fins médicales, a estimé M. Rifici. Si un autre parti avait été au pouvoir, la base conservatrice aurait déchiré sa chemise là-dessus (...) Bien sûr, les tribunaux ont forcé la main des conservateurs, mais ils ont ensuite mis en place un système (...) très solide. »

En 2013, le gouvernement Harper annonçait que le ministère fédéral de la Santé cesserait de produire lui-même du cannabis à des fins thérapeutiques, une décision qui a permis ensuite l'éclosion de producteurs privés et l'apparition d'un commerce aujourd'hui bien établi. Les libéraux de Justin Trudeau ont quant à eux promis de légaliser la consommation « récréative » de marijuana au Canada mais d'en réglementer le commerce.

« Le système canadien actuel de prohibition de la marijuana ne fonctionne pas, lit-on dans la plateforme électorale du Parti libéral. Pour empêcher la marijuana de tomber entre les mains des enfants, et les profits de tomber entre les mains des criminels, nous allons légaliser et réglementer la marijuana, mais aussi en restreindre l'accès.

«Nous retirerons la consommation et la possession de marijuana du Code criminel et élaborerons de nouvelles lois plus strictes (qui) puniront sévèrement quiconque fournit cette drogue à un mineur, conduit un véhicule après en avoir consommé ou en fait la vente à l'extérieur du nouveau cadre législatif», promettent les libéraux.

Groupe de travail

Ottawa devra d'abord mettre en place un groupe de travail fédéral-provincial afin de mener des consultations dans tout le pays auprès de responsables de la santé publique, de spécialistes en toxicomanie et d'experts en sécurité publique.

Donald MacPherson, directeur de la Coalition canadienne des politiques sur les drogues, estime que le Canada est actuellement en excellente position pour aborder cet enjeu de société, car les universitaires et les responsables de la santé publique, qui voyaient venir, débattent déjà vigoureusement de cette question depuis une dizaine d'années.

M. MacPherson souhaiterait que les libéraux agissent rapidement - au cours de la première moitié de leur mandat - sans toutefois précipiter les choses. Il faudra aussi ensuite, selon lui, financer adéquatement la recherche pour évaluer la situation à court et à moyen termes.

En attendant, nul doute que le groupe de travail fédéral-provincial canadien se tournera vers le Colorado, qui a légalisé la marijuana en janvier dernier. Brian Vicente, un avocat impliqué dans tout ce débat, se souvient de discussions fascinantes. "Pour la première fois de l'histoire, un producteur de marijuana pouvait être assis à côté du shérif sans être arrêté", s'amuse-t-il aujourd'hui.

La marijuana «récréative» est maintenant légale dans quatre États américains - le Colorado, l'Alaska, l'Oregon, Washington - et dans le district de Columbia.