La Gendarmerie royale du Canada (GRC) ne s'inquiète pas seulement du départ de jeunes aspirants djihadistes à l'étranger. Elle craint aussi qu'à leur retour au pays, ces combattants aguerris ne passent «sous le radar» et ne s'attaquent à «des éléments de la société canadienne», révèlent des documents internes de la GRC obtenus par La Presse. Un scénario jugé alarmiste par un ex-cadre des services secrets canadiens.

Le nombre de Canadiens à grossir les rangs d'un groupe terroriste en Irak ou en Syrie ne cesse de croître. Ils seraient maintenant environ 170 à se battre au nom du djihad, avertissait ce printemps le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Or, la GRC serait incapable de contrôler tous ceux qui pourraient revenir au pays si jamais le groupe État islamique était vaincu par la coalition internationale. Le cas échéant, cela «surchargera notre capacité à couvrir ces individus», a alerté le commissaire adjoint de la GRC James Malizia, dans un document secret non daté, mais ultérieur aux attentats d'Ottawa et de Saint-Jean-sur-Richelieu, en octobre dernier.

Officier responsable des opérations de police fédérale de la GRC, James Malizia, affirme que le retour possible des combattants canadiens est «la plus grande source d'inquiétude» pour la sécurité canadienne puisque ces derniers pourraient «fomenter un complot terroriste, radicaliser d'autres personnes et participer au financement [du terrorisme]».

D'autre part, le nombre de voyageurs canadiens à haut risque, surveillés par les forces de l'ordre, a triplé depuis 2012, selon la GRC. «Aucun signe n'indique que cette menace se dissipera dans le futur», précise le document intitulé «Voyageurs à haut risque».

La GRC affirmait d'ailleurs mener 66 enquêtes sur 98 voyageurs à haut risque, il y a quelques mois. Pour s'attaquer à cette «menace», environ 80 employés de la GRC ont été affectés aux dossiers des voyageurs à haut risque. Or, selon Michel Juneau-Katsuya, un ancien cadre du SCRS, en entrevue à La Presse, il faudrait des milliers d'agents pour surveiller 24 heures sur 24 toutes les personnes considérées comme à haut risque.

Mais si le «pire des scénarios» se concrétise, le Canada ne serait pas le seul pays à manquer de ressources, affirme l'expert en espionnage. «Il n'y aurait probablement pas un seul État qui aurait cette capacité», nuance-t-il.

Il faut toutefois remettre ce scénario «alarmiste et improbable» dans son contexte politique, soutient Michel Juneau-Katsuya. «Il peut y avoir aussi une certaine démagogie dans la rédaction d'un tel rapport. Quelles sont les probabilités que les quelque 200 jeunes reçoivent l'ordre de revenir au Canada en même temps? C'est peu probable.» Le retour au pays d'un djihadiste canadien «encore plus radicalisé» deviendrait toutefois la «priorité» des autorités, précise le spécialiste en matière de terrorisme. «On ne peut pas baisser la garde.»

La GRC «rarement informée»

Dans un autre document datant de février 2014, tout juste avant la montée en force de l'organisation État islamique, la GRC se préoccupait de «la vague de combattants» qui reviendraient au Canada en cas de victoire des forces syriennes de Bachar al-Assad. Leur retour poserait «un réel problème de sécurité» pour le Canada, puisque ces terroristes risqueraient de radicaliser des «individus vulnérables», voire de commettre un attentat au pays ou aux États-Unis.

Or, la GRC dépend souvent des services de renseignement étrangers pour leur révéler «les déplacements et les plans de Canadiens engagés dans des conflits étrangers ou du terrorisme», est-il noté dans ce document intitulé «Combattants étrangers - Prévenir la menace contre la sécurité au Canada et à l'étranger». Ainsi, les services de renseignement canadiens sont «rarement informés» des intentions d'un terroriste rentrant au pays, posant de ce fait «une menace insoupçonnée».

Bien des terroristes pourraient toutefois passer à travers les mailles du filet en raison des moyens importants du groupe État islamique, soutient Michel Juneau-Katsuya. «Il n'est pas impossible que des sympathisants puissent leur envoyer des documents altérés leur permettant de rentrer illégalement au Canada.»

Pour s'attaquer à ce problème criant, le gouvernement fédéral a lancé en avril 2014 le Groupe de gestion des cas de voyageurs à risque élevé, intégré quelques mois plus tard au sein du Centre des opérations du gouvernement. Ce groupe dirigé par la GRC devait se réunir toutes les trois semaines ou en cas d'urgence pour évaluer le cas des Canadiens soupçonnés de quitter le pays «pour participer à des activités terroristes ou qui rentreraient au pays», indique le rapport.

La GRC s'inquiète également des risques de «controverse» si les autorités empêchent un suspect de quitter le pays, puisque les discussions menant à cette mesure pourraient être «scrutées par les médias [...] ou par un tribunal criminel ou civil». Il n'a pas été possible de joindre un représentant de la GRC hier.

- Avec la collaboration de William Leclerc