Les tenanciers de bar sont furieux, excédés par les délais qu'ils estiment toujours plus longs pour obtenir les autorisations de la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec (RACJQ).

Les responsables de l'association qui les défend ne tarissent pas d'histoires d'horreur, à propos de demandeurs qui ont attendu plusieurs mois, voire pratiquement plus d'un an, un permis, en vue d'exploiter un bar, une terrasse, ou d'obtenir une modification.

Même ceux qui demandent un permis temporaire pour un événement spécial, mariage, fêtes, réceptions, reçoivent parfois leur autorisation le jour même de leur activité.

Le syndicat qui regroupe les employés de la régie soutient pour sa part que ce sont les compressions récentes du gouvernement Couillard qui rallongent les délais. Selon les chiffres du Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ), 14 occasionnels n'ont pas été renouvelés dans leurs fonctions depuis décembre, sur un peu plus de 200 employés.

L'Union des tenanciers de bars du Québec (UTBQ) a refusé de commenter la situation du personnel de la RACJQ, mais n'a pas hésité à se lancer dans un réquisitoire: règne de l'arbitraire, fonctionnaires tatillons, chantage économique, indifférence du gouvernement, c'est toute une sphère d'activité économique qui dit être «handicapée» par une loi désuète et son interprétation.

«On a besoin du permis de la régie pour embaucher du monde, pour faire rouler l'économie, mais on est considérés comme des bandits», a lâché le président de l'Union des tenanciers, Peter Sergakis, en se faisant l'écho de ses membres, dans une entrevue à La Presse Canadienne, jeudi.

«Ça fait 52 ans que je suis en affaires, je n'ai jamais été aussi écoeuré que je le suis aujourd'hui.»

Autrefois il fallait quatre ou cinq mois pour obtenir un permis dans les faits, «si ça allait bien», tandis que de nos jours il en faut le double, a affirmé Me Sébastien Sénéchal, qui représente l'UTBQ, mais aussi régulièrement des demandeurs de permis dans leurs démêlés.

«On est passé d'inacceptable à très inacceptable, a-t-il commenté. (...) C'était déjà excessivement très long. Maintenant parfois on peut parler d'années.»

Tout le secteur économique des bars en est «handicapé et pénalisé», a-t-il poursuivi. Selon lui, le demandeur est «à la merci» de chaque fonctionnaire, qui a sa propre interprétation de la loi, qui n'a pas une «vision globale», et qui donne des informations incomplètes et ajoute chaque fois de nouvelles exigences.

À titre d'exemple, un entrepreneur investit plusieurs centaines de dollars pour faire aménager les lieux d'un futur bar, prend les photos tel que requis pour compléter son dossier, et le fonctionnaire refuse d'approuver parce qu'il manque les bouteilles d'alcool, alors que le demandeur n'a même pas le droit de garder de l'alcool sur place en l'absence d'un permis.

Des investisseurs ont fait faillite à force de payer un loyer sans obtenir le permis dans un délai raisonnable, a indiqué Me Sénéchal. D'autres ont dû promettre de fermer leur future terrasse à 22h00 pour obtenir leur permis à temps pour l'été, alors que leurs concurrents ferment à 3h00, ce qui n'est rien de moins que du chantage, de l'avis de l'avocat.

«Personne ne veut régler le problème, le gouvernement s'en fiche», a lancé M. Sergakis.

La RACJQ est «déconnectée» des réalités économiques, a déploré M. Sénéchal, en ajoutant que des membres de l'UTBQ investissent maintenant en Ontario, où ils sont bienvenus.

«La régie ontarienne les aide, la police les aide, il faut trois semaines pour obtenir un permis. On parle de Toronto, pas d'un village. Il y a une dichotomie complète.»

L'UTBQ fera prochainement part de ses doléances dans une lettre officielle adressée à Lise Thériault, la ministre de la Sécurité publique, dont relève la régie. Les tenanciers réclament une réforme de la loi, la réduction des délais, et des approbations conditionnelles précédant la délivrance des permis.

Le SFPQ soutient pour sa part que les retards s'accumulent à la régie parce que les effectifs d'occasionnels n'ont pas été renouvelés. «On ne peut plus dire qu'on peut réduire la main-d'oeuvre sans que cela affecte les services», a dit la présidente du SFPQ, Lucie Martineau.

Les employés n'arrivent plus à accorder les permis comme ils le faisaient auparavant, a-t-elle déploré. Ils en sont rendus à expédier par courriel les permis temporaires pour un événement dans les heures qui le précèdent.

La RACJQ reconnaît pour sa part qu'elle est affectée par les compressions imposées par le gouvernement Couillard. Des permis sont parfois délivrés très près de l'échéance, a admis Me Joyce Tremblay, la relationniste de la régie.

«Ça prend un peu plus de temps, on a une augmentation des demandes de permis», a-t-elle par ailleurs précisé. Cependant, les délais pour les demandes de permis de terrasse ne sont pas plus longs, a-t-elle assuré. Le délai d'analyse est de 15 jours et si tous les documents sont fournis, cela ne peut être quatre mois, a dit Me Tremblay.

Au ministère de la Sécurité publique, on dit que ces périodes de pointe des demandes sont habituelles et il n'y a pas de situation anormale.

«Il n'y a pas de délais qui s'allongent», a déclaré le porte-parole de Mme Thériault, Jean-Philippe Guay, tout en ajoutant peu après que «cela peut être un peu plus long que d'habitude en raison du nombre de demandes. On nous dit que la situation est bien gérée et que tout est correct».

Des modifications législatives sont par ailleurs en vue afin de moderniser la réglementation, la simplifier et «enlever des irritants», a-t-il dit. Cependant, il n'a pu préciser de calendrier pour cette refonte, sinon en évoquant un «horizon assez rapproché».

Mme Thériault effectue actuellement des consultations avec divers intervenants.