Le gouvernement conservateur aime l'histoire militaire. Un peu trop, même, aux yeux de certains experts. Dans le cadre des festivités entourant le 150e anniversaire de la Confédération, Ottawa a prévu une enveloppe de plus de 33 millions pour commémorer de 2013 à 2021 des guerres auxquelles le Canada a participé, révèle un document obtenu par La Presse.

«La route vers 2017 et les années subséquentes jusqu'en 2021 sera remplie d'occasions pour souligner une grande gamme d'anniversaires ainsi que des réalisations nationales et internationales qui ont joué un rôle important dans la croissance et la prospérité de notre pays, notre patrimoine partagé et la formation des valeurs profondément enracinées que nous partageons aujourd'hui», peut-on lire dans un document préparé par le ministère de la Défense et qui présente le programme piloté par Patrimoine Canada et le ministère des Anciens Combattants pour célébrer la Confédération canadienne.

Les deux guerres mondiales et une série d'autres événements militaires seront ainsi au coeur des célébrations. Ce faisant, le gouvernement veut améliorer la compréhension qu'ont les Canadiens de leur histoire, tout en moussant «le sentiment de fierté nationale au sein de la population».

«En comprenant mieux que le développement du Canada en tant que pays indépendant ayant une identité unique découle d'une façon importante de ses réalisations en temps de guerre, on espère que les Canadiens apprécieront davantage le rôle important que joue le pays dans le monde aujourd'hui», écrit Richard B. Fadden, sous-ministre au ministère de la Défense nationale.

Une relecture de l'histoire?

Cette interprétation de l'histoire est toutefois remise en question par le milieu universitaire. Selon Suzanne Morton, professeure au département d'histoire de l'Université McGill et spécialiste en études canadiennes, les guerres ont toujours été source de division au Canada.

«Cela va totalement à l'encontre de l'histoire. C'est franchement réinterpréter les faits que de prétendre qu'elles sont une source d'unité. Je n'arrive pas à trouver ne serait-ce qu'une guerre où tous les Canadiens s'entendaient. Quand on n'assistait pas à une division entre anglophones et francophones, nous avions une division entre ruraux et urbains», a expliqué l'experte.

Le sous-ministre a-t-il raison de prétendre que l'indépendance du pays découle «d'une façon importante» de notre histoire militaire?

«Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un fait. C'est beaucoup plus complexe. Mais vous savez, l'histoire est une question d'interprétation, car on raconte toujours quelque chose en fonction du présent. On remarque certainement que la trame narrative mise de l'avant par les conservateurs coïncide avec ses objectifs actuels», a ajouté Mme Morton.

De son côté, le professeur en science politique à l'Université de Montréal et directeur de l'Observatoire des fédérations du Centre d'études et de recherches internationales, Jean-François Godbout, croit que les conservateurs tentent de redéfinir l'image du Canada.

«On cherche à s'éloigner des réalisations [du Parti libéral], telles que les Casques bleus ou la Charte des droits et libertés. En mettant l'accent sur la Première Guerre mondiale, on se retrouve aussi à souligner la contribution du gouvernement conservateur puis unioniste de Robert Borden», a souligné le professeur spécialisé en politique canadienne.

«Cela dit, le document semble présenter uniquement les commémorations de l'histoire militaire. Il pourrait donc y avoir d'autres types de commémorations [dans le cadre du 150e anniversaire de la Confédération][...] Enfin, on peut penser que les conservateurs ne seront plus au pouvoir en 2017 ; les choses pourraient changer», a-t-il ajouté.

En avant le patriotisme

En cette période de célébrations du 1er juillet, le penchant militaire des conservateurs est de nouveau remis en question, alors que la fête du Canada soulignait cette année le 100e anniversaire du début de la Première Guerre mondiale, le 75e anniversaire du début de la Seconde Guerre mondiale et la fin de la mission en Afghanistan. Un programme bien militaire.

Il y a près d'un an, en septembre 2013, La Presse révélait aussi que le gouvernement Harper voulait mousser le patriotisme chez les Canadiens d'ici le 150e anniversaire de la Confédération en misant sur les exploits de l'armée canadienne. Lors des exercices financiers 2012 et 2013 seulement, le fédéral a d'ailleurs dépensé au moins 42 millions dans son plan «En route vers 2017», dont près de 35 millions consacrés au bicentenaire de la guerre de 1812.

- Avec William Leclerc