Un des piliers de la coopération internationale québécoise, la Fondation Paul Gérin-Lajoie, traverse une crise importante.

À l'origine des tensions qui déchirent l'organisme: un courriel de son président, François Gérin-Lajoie, demandant à une centaine d'employés, de membres du conseil d'administration et de personnalités proches de la Fondation d'appuyer la candidature de Fatima Houda-Pepin lors des dernières élections provinciales.

Daté du 19 mars dernier, le courriel appelle les destinataires à «encourager une femme exemplaire qui a su défendre ses idées pour la défense de la liberté et de la démocratie». Et qui a aussi eu le mérite de soutenir, de façon «substantielle», la Fondation PGL.

Le signataire dirige ensuite ses destinataires vers le site du Directeur général des élections, où ils peuvent faire leurs dons, jusqu'à concurrence de 200$.

Le courriel est signé par François Gérin-Lajoie, sur le compte de courriel de la Fondation. Il affirme que son père, Paul Gérin-Lajoie, qui a fondé l'organisme caritatif en 1977, se joint à son «message de solidarité».

Le message a créé un immense malaise au sein de cette ONG qui se définit comme apolitique, et qui recueille chaque année plus de 1 million en dons de particuliers. Cet argent sert à financer des projets éducatifs dans quatre pays d'Afrique de l'Ouest et en Haïti.

Un courriel «inapproprié»

Paul Gérin-Lajoie, aujourd'hui âgé de 94 ans, s'est rapidement dissocié de l'initiative de son fils. «Nous sommes tout à fait conscients que toute forme de sollicitation en vue de soutenir un candidat ou un parti politique contrevient aux lignes directrices de l'Agence du revenu du Canada», précise-t-il dans un texte publié brièvement sur le site web de la Fondation. Il y qualifie le courriel de François Gérin-Lajoie d'«inapproprié».

Selon un avis juridique obtenu par les deux dirigeants de la Fondation, la démarche pourrait aussi enfreindre la Loi électorale du Québec, puisqu'il s'agit vraisemblablement d'une tentative de «sollicitation au bénéfice de Fatima Houda-Pepin», députée sortante de la circonscription de La Pinière.

L'auteur de cette collecte de fonds non autorisée pourrait être passible d'une amende de 5000 à 20 000$. Le Directeur général des élections a été incapable de préciser, hier, s'il avait été saisi ou non du dossier.

L'ancien premier ministre du Québec Daniel Johnson a réagi avec virulence en prenant connaissance du message d'appui à Fatima Houda-Pepin. «Étrange et sidérant mercantilisme que celui de la Fondation PGL, qui laisse à penser qu'elle soutiendrait les activités partisanes de toute personne si celle-ci contribuait à la Fondation», s'indigne-t-il dans un courriel envoyé au président François Gérin-Lajoie, et dont La Presse a pris connaissance.

«Votre attitude déshonore l'oeuvre de la Fondation et entache irrémédiablement sa crédibilité», poursuit celui qui pilote le comité de transition du premier ministre Philippe Couillard. Dans un entretien téléphonique, lundi, Daniel Johnson a voulu mettre un bémol à ses propos, précisant que l'appel aux donateurs potentiels relevait d'une «maladresse de la part de quelqu'un qui voulait bien faire», et qui aurait dû faire cet envoi à partir d'un compte de courriel personnel. Une erreur de jugement qui ne change rien à la pertinence des oeuvres de la Fondation PGL, selon lui.

François Gérin-Lajoie a tenté de corriger le tir avec deux courriels subséquents. Le dernier demandait à ses destinataires de ne pas tenir compte de son appel à soutenir la candidate de La Pinière.

Autre commotion

Mais les turbulences créées par cet incident ne sont pas apaisées pour autant. D'autant plus qu'il ne s'agit pas de la première manifestation du président de la Fondation PGL sur la scène politique. En pleine campagne électorale municipale, l'été dernier, il a envoyé un courriel d'appui au candidat à la mairie Denis Coderre, de son adresse de la Fondation. «En tout cas, à la FPGL, on vote Denis Coderre!», y assure-t-il. Le message a causé une commotion au sein de l'organisme.

La crise actuelle est jugée suffisamment grave pour justifier la création d'un comité d'urgence, formé de trois membres du conseil d'administration, dont le vice-président Michel Agnaieff.

Le conseil d'administration se réunit ce soir pour «faire le point sur des événements récents», a indiqué M. Agnaieff, lundi.

En attendant cette réunion, la Fondation s'est murée dans le silence, refusant de répondre aux questions des médias.

Joint au téléphone, Michel Agnaieff a quand même reconnu qu'un comité doit «vérifier un certain nombre de problèmes», allant éventuellement au-delà de la seule question des appuis politiques.

Il a admis que la Fondation vit des tensions internes, mais il les a attribuées à «une crise de croissance» due à un «changement de paradigme» dans le domaine de l'aide internationale.

Enfin, il a jugé que ces tensions sont d'intérêt public, puisque l'organisation «sollici[te] l'aide du public».