Le commissaire aux langues officielles Graham Fraser part en croisade pour convaincre Ottawa et les provinces d'offrir un meilleur accès à la justice en français au pays.

M. Fraser a écrit une lettre à tous les premiers ministres du pays, à tous les ministres de la Justice ainsi qu'à tous les juges en chef des cours supérieures et d'appel afin de les exhorter à prendre les moyens qui s'imposent pour que les francophones puissent se faire entendre dans leur langue devant les tribunaux, a appris La Presse. En tout, il a expédié plus d'une soixantaine de missives aux décideurs et aux magistrats du pays à ce sujet en août dernier, selon des documents obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

«Les citoyens qui désirent obtenir justice dans la langue officielle de la minorité devant les cours supérieurs du pays se voient encore trop souvent contraints à plaider leur cause dans la langue de la majorité, ou à encourir des coûts et des délais additionnels, s'ils persistent à vouloir être entendus par des juges bilingues», écrit M. Fraser dans sa lettre envoyée dans les deux langues officielles au premier ministre Stephen Harper.

«Il en est ainsi en raison, notamment, de la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures, qui demeure un défi à relever dans plusieurs provinces et territoires», ajoute le commissaire.

Recommandations

Dans sa lettre, M. Fraser rappelle qu'il a réalisé une étude, avec le concours de ses homologues de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick, qui démontre que la cause principale de ce problème a trait au processus de nomination des juges, qui «ne garantit pas la présence d'un nombre approprié de juges ayant les compétences linguistiques requises pour entendre les citoyens dans la langue officielle de la minorité».

Au terme de cette étude, qui a permis d'examiner la situation dans les cours supérieures et d'appel de six provinces (Ontario, Québec, Manitoba, Alberta, Nouveau-Brunswick et Nouvelle-Écosse), les trois commissaires ont recommandé qu'un nombre de postes de juges bilingues soit déterminé dans ces provinces et que de meilleurs cours de formation linguistique soient offerts aux juges.

M. Fraser a remis le rapport au ministre de la Justice, Peter MacKay, l'invitant à adopter les changements de concert avec ses homologues provinciaux à partir de septembre 2014. Car c'est le gouvernement fédéral qui nomme les juges des cours supérieures et d'appel, et qui contribue aussi à leur formation linguistique.

Le ministre MacKay a déjà fait savoir qu'il ne peut s'engager à respecter un tel échéancier, mais qu'il avait entrepris des pourparlers avec ses homologues des provinces afin de discuter des options envisageables.

Dans le passé, le commissaire Graham Fraser a déjà critiqué le refus du gouvernement Harper de nommer uniquement des juges bilingues à la Cour suprême du Canada. Les conservateurs estiment que cela pourrait forcer le gouvernement à écarter d'éminents juges unilingues pour un poste à la Cour suprême du Canada.

Projet de loi 

Hier, le député néo-démocrate d'Acadie-Bathurst, Yvon Godin, a déposé pour une troisième fois un projet de loi pour rendre obligatoire la compréhension des deux langues officielles pour toute nouvelle nomination de magistrats au plus haut tribunal du pays. Sa dernière tentative, en 2010, avait reçu l'aval des députés des Communes - quoique sans l'appui des conservateurs, alors minoritaires -, mais avait été bloquée au Sénat à majorité conservatrice. Deux des neuf juges siégeant actuellement à la Cour suprême ont une compréhension très limitée du français et ont recours à la traduction simultanée.

- Avec William Leclerc et La Presse Canadienne