La Cour suprême du Canada va entendre cette semaine une affaire constitutionnelle aussi importante que controversée pour le pays: celle du renvoi sur le Sénat.

Le plus haut tribunal du pays sera appelé à préciser l'étendue du pouvoir du fédéral de modifier à sa guise - ou même de carrément abolir - le Sénat, sans l'approbation des provinces.

À partir de mardi, les juges de la Cour suprême entendront les arguments des provinces et du gouvernement fédéral, qui a requis leur opinion. L'audition durera trois jours.

Les gouvernements provinciaux s'opposent tous à une abolition unilatérale du Sénat par le fédéral. Mais pour ce qui est de le modifier, les opinions des provinces divergent sur la marche à suivre.

Pour Québec, afin de toucher au Sénat, il est essentiel d'avoir le consentement du deux tiers des provinces - dont la population constitue au moins 50 pour cent du total du pays (la procédure dite du «7/50»).

La Cour suprême va donc déterminer quelle est la procédure constitutionnelle requise pour modifier une telle institution.

Le scandale des dépenses au Sénat a mis la Chambre haute sur la sellette ces derniers mois et amené de l'eau au moulin pour ceux qui réclament son abolition.

Le gouvernement Harper a déposé en juin 2011 le projet de loi C-7 pour limiter le mandat des sénateurs à neuf ans et pour la tenue d'élections sénatoriales - pour les provinces qui souhaiteraient en organiser.

Après avoir résisté, Ottawa a donc demandé en février à la Cour suprême de se pencher sur la légalité de cette proposition. Il veut aussi savoir s'il est possible de carrément abolir le Sénat.

Le projet C-7 est mort au feuilleton avec la prorogation du Parlement cet été. Mais tous étaient d'avis de solliciter quand même l'opinion de la Cour suprême.

Le professeur de droit constitutionnel Sébastien Grammond, de l'Université d'Ottawa, qui représente aussi la Fédération des communautés francophones et acadienne dans cette affaire, estime qu'il s'agit d'un renvoi d'une grande importance.

«Ça va être la première fois qu'on va sérieusement et profondément discuter de la formule de modification de la Constitution devant la Cour suprême», note-t-il.

Bref, quelle formule de consentement est requise pour ce type de modification à une institution du gouvernement.

Depuis le rapatriement de la Constitution, il y a 30 ans, il n'y a pas eu tel débat devant la Cour suprême: ni sur le Sénat ni sur autre chose, explique le professeur.

Et pour lui, l'impact de cette opinion de la Cour suprême sera beaucoup plus large: il ne sera pas limité au Sénat. Car le Cour va notamment trancher sur le pouvoir du gouvernement d'agir seul.

Québec a mené de front cette bataille contre la modification unilatérale de la Chambre haute. Il est la seule province à avoir référé à sa propre Cour d'appel la validité de la réforme du gouvernement Harper.

La Cour d'appel a récemment rendu son opinion, qui donne raison à Québec.

Cet avis ne lie évidemment pas la Cour suprême. «Mais ça donne l'opinion de juges impartiaux et indépendants», note M. Grammond.

Le renvoi sur le Sénat sera aussi mené devant le plus haut tribunal du pays sur fond de controverse: il ne pourra pas être entendu par un banc complet de neuf juges, car le juge québécois Marc Nadon, le plus récent magistrat nommé à la Cour, s'est exclu temporairement parce que sa nomination est contestée devant la Cour fédérale.

Le renvoi sur le Sénat sera donc vraisemblablement entendu par huit juges. Et avec un juge du Québec en moins, alors que c'est cette province qui s'est le plus débattue contre la réforme fédérale.

Mais même s'il estime «souhaitable» qu'une cause de cette importance soit entendue par un banc de neuf juges, M. Grammond garde confiance.

«Ces causes-là sont généralement unanimes», conclut-il à ce sujet.

Le gouvernement conservateur dit qu'il va aller de l'avant avec sa réforme du Sénat - qu'il privilégie plutôt que son abolition pure et simple - dès que la Cour suprême aura fait connaître son opinion sur la méthode à suivre.

Mais récemment, des conservateurs, dont le puissant ministre des Finances, Jim Flaherty, ont fait savoir qu'ils aimeraient mieux que le Sénat soit tout bonnement aboli.

Au cours des années, plusieurs gouvernements ont entrepris de modifier le Sénat - mais leurs initiatives ont toutes échoué.

Congé de remboursement pour le sénateur Brazeau

Le sénateur Patrick Brazeau n'aura pas à rembourser les sommes qu'il doit au Sénat durant les deux ans de sa suspension. 

L'un des trois sénateurs suspendus sans salaire et sans ressources parlementaires pour «grossière négligence» la semaine dernière se voit accorder une pause par la Chambre haute.

M. Brazeau devait 48 745 $ à l'institution pour des allocations de logement réclamées auxquelles il n'avait pas droit, puisqu'il vivait à Gatineau et non à Maniwaki comme il l'avait prétendu. Les sénateurs peuvent toucher des allocations de logement seulement si leur résidence principale est située à plus de 100 kilomètres de la colline parlementaire.

Puisque M. Brazeau clamait son innocence et refusait de payer la somme, le Sénat avait entrepris cet été de prélever 20 pour cent de son chèque de paie pour assurer le remboursement de l'institution.

Avec sa suspension, les prélèvements ne pouvaient se poursuivre.

Dans un courriel, l'agente de communications du Sénat, Annie Joannette, a indiqué que les prélèvements sur le salaire de M. Brazeau ne seront plus effectués, le temps de sa suspension.

«Compte tenu de la suspension du sénateur Brazeau, les prélèvements cesseront. Ils reprendront toutefois lorsque la suspension aura été levée», a-t-elle écrit dans un courriel à La Presse Canadienne.

On ignore quelle somme il reste à rembourser à ce jour ou si les intérêts sur sa dette continueront de s'appliquer pour les deux prochaines années.

M. Brazeau, Mike Duffy et Pamela Wallin ont été suspendus sans salaire le 5 novembre, jusqu'à la fin de l'actuelle législature, soit environ deux ans. Les trois avaient réclamé des remboursements pour des dépenses jugées inappropriées.

Dans le cas de M. Brazeau, un rapport de la firme Deloitte avait signalé que le sénateur avait passé moins de 10 pour cent de son temps à Maniwaki, où il prétendait avoir sa résidence principale.

Le rapport notait toutefois que les règles du Sénat sur ce sujet n'étaient pas claires. M. Brazeau continue d'affirmer n'avoir enfreint aucune règle.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) enquête actuellement sur les dépenses des trois sénateurs déchus. Aucune accusation criminelle dans ce dossier n'a été portée à ce jour.