Les actes intolérants envers la communauté musulmane, en plein coeur du débat sur la Charte des valeurs, ne sont pas exclusifs au Québec. Deux femmes musulmanes, l'une voilée et l'autre non, ont été victimes la semaine dernière d'une violente agression verbale dans un autobus de l'OC Transpo, à Ottawa. Ni les nombreux passagers ni le chauffeur ne leur sont venus en aide.

«J'ai remarqué pendant que j'attendais l'autobus qu'un homme s'agitait et disait à haute voix des choses contre les musulmans. Je me suis éloignée, me disant qu'il était peut-être malade ou drogué. Lorsque nous sommes montés dans le bus, une femme voilée accompagnée de son enfant assis dans une poussette se tenait près de la porte. L'homme l'a insultée jusqu'à ce qu'elle parte», a raconté à La Presse Yara El-Ghadban, anthropologue et professeure à l'Université d'Ottawa.

Comme chaque semaine, la chercheuse, qui habite à Montréal, se rend dans la capitale pour donner des cours. Toujours le même trajet, qui se déroule normalement bien. Toutefois, lorsqu'elle a été témoin la semaine dernière de cette agression verbale contre une femme musulmane voilée, elle a décidé d'intervenir, puisque personne ne s'interposait.

«L'homme parlait [en anglais] d'invasion de musulmans, en citant le Québec à plusieurs reprises. La pauvre, personne ne l'aidait. Le chauffeur qui était à côté ne regardait pas la scène, ignorait le tout. Les gens détournaient le regard», a expliqué la professeure, musulmane non pratiquante.

Une fois la dame et son enfant descendus de l'autobus, Mme El-Ghadban raconte avoir demandé poliment à l'homme de se taire, «car il dérangeait tout le monde». Ce qu'il a fait pendant quelques secondes. Puis, elle est devenue la cible de ses injures. «Le chauffeur aurait dû réagir pour soutenir la première dame, et encore plus quand l'homme s'acharnait sur moi. S'il s'en était pris à lui, il l'aurait certainement fait sortir de l'autobus», raconte-t-elle.

OC Transpo s'explique

Lorsqu'un chauffeur est témoin d'une telle situation, il doit communiquer avec le Centre de contrôle des opérations, ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, a expliqué par courriel le porte-parole de la Ville d'Ottawa, James Babe. Des agents de sécurité peuvent alors intervenir rapidement.

Cette procédure n'est peut-être toutefois pas comprise ou appliquée par tous. Le syndicat des chauffeurs d'autobus a plutôt indiqué à La Presse que le chauffeur n'intervient que lorsqu'un usager le demande.

«Le chauffeur croyait-il que la dame maîtrisait la situation? C'est peut-être la raison pour laquelle il n'est pas intervenu. Il est aussi possible qu'il ait appuyé sur le bouton d'alarme, mais que les personnes aient quitté l'autobus avant que la sécurité arrive sur les lieux», a expliqué le président du syndicat, Craig Watson.

L'autobus 95 est un circuit achalandé à l'heure de pointe, a ajouté M. Watson. Des centaines de passagers défilent sur les quais du Transitway tous les matins, où sont installées plus de 400 caméras de surveillance. Puisque Yara El-Ghadban n'a pas noté le numéro de l'autobus dans lequel l'incident est survenu, il sera très difficile de retrouver l'homme, croit le syndicat.

Sans vidéo ni photo de l'individu, il est impossible d'ouvrir une enquête, a indiqué le Service de police de la Ville d'Ottawa à Yara El-Ghadban, lorsqu'elle a rencontré un agent, mardi matin. Les autobus d'Ottawa ne sont pas munis de caméras.

Avant de pouvoir parler à un représentant de l'OC Transpo, il faut attendre longtemps, raconte la professeure en anthropologie. Lorsqu'elle a finalement pu expliquer la situation, on lui aurait dit que rien ne pouvait être fait, sauf signaler l'homme aux autorités policières si elle le croisait de nouveau.

Il a été impossible pour La Presse de parler de vive voix avec un représentant de l'OC Transpo à ce sujet.

Un débat qui passionne de l'autre côté de la rivière des Outaouais

Le débat sur la Charte des valeurs québécoises traverse les frontières et passionne aussi les gens ailleurs au Canada, témoigne l'anthropologue Yara El-Ghadban. Elle croit que la Charte des valeurs attise l'intolérance et que les incidents du genre sont plus fréquents, même chez les anglophones canadiens.

«C'est plus flagrant parce que les gens pensent que c'est maintenant permis de chasser les minorités visibles de l'espace public. Puisque l'État dit que c'est permis dans ses institutions, pourquoi se limiter à cela? Et tant qu'à faire, pourquoi limiter l'intolérance au voile?», s'interroge-t-elle.

Cette position est toutefois nuancée par Rachad Antonius, sociologue et directeur adjoint de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Selon lui, les passagers de l'autobus où la femme a été agressée verbalement la semaine dernière ont peut-être eu peur ou ont pensé qu'intervenir pouvait empirer la situation.

«Je crois toutefois que le débat actuel fait en sorte qu'on a rendu légitime ce genre de réactions. Même s'il y a toujours eu de tels événements. Il existe des cas documentés de femmes voilées qui ont été agressées. Je ne pense toutefois pas que les passagers de l'autobus étaient d'accord avec ce que l'homme disait», explique M. Antonius.

Les Ontariens sont en général perplexes par rapport au débat identitaire québécois. Selon Peter John Loewen, professeur de science politique à l'Université de Toronto, l'enjeu de la place de la religion dans la société est presque inexistant dans sa province.

«Les Ontariens n'utilisent pas vraiment le terme "accommodements" et les gens ne sont pas inquiets par la diversité religieuse dans la sphère publique.»