En versant chaque année plusieurs centaines de milliers de dollars aux partis politiques, les entreprises de génie-conseil cherchaient moins à «organiser» l'attribution des contrats qu'à préserver le système actuel d'attribution des mandats, qui est tout à leur avantage.

En entrevue à La Presse, le président de l'Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ), Michel Gagnon, affirme qu'il n'y a «probablement pas eu» de collusion autour des contrats d'ingénierie du ministère des Transports du Québec (MTQ) durant les années 2000 «parce que les firmes de génie-conseil n'avaient pas besoin d'en faire».

«La tarte est immense, explique-t-il. Juste en 2011-2012, elles ont eu 420 millions à se partager en honoraires. Il y en avait assez pour tout le monde, sans faire de la collusion.»

Le président du syndicat des ingénieurs de l'État estime plutôt que la générosité des firmes de génie-conseil, qui ont versé des millions de dollars aux partis politiques durant la dernière décennie, visait surtout à convaincre les élus de garder le rythme des travaux à un niveau aussi élevé que possible.

Selon des données compilées par l'APIGQ depuis 10 ans, et dont La Presse a fait état hier, des employés et dirigeants des 10 plus grandes firmes de génie-conseil du Québec ont versé un total de 13,5 millions dans les caisses électorales des trois plus importants partis politiques provinciaux, entre 1998 et 2010.

Le mois dernier, de hauts dirigeants de quatre importantes firmes d'ingénierie - Dessau, Genivar, BPR et SNC-Lavalin - ont reconnu devant la commission Charbonneau qu'il existait, au sein de leur firme, un système de contributions politiques pour répondre aux demandes de financement qui leur étaient directement adressées par les partis politiques.

Ces dirigeants ont tous affirmé qu'il n'y avait aucun lien entre ce financement et des contrats publics en particulier, mais qu'ils avaient tous estimé nécessaire de répondre aux demandes des partis, de crainte de voir décliner leur chiffre d'affaires.

«À l'APIGQ, nous pensons que ce qui leur faisait si peur, c'est que le MTQ se remette à embaucher des ingénieurs, au lieu de tout leur donner à contrat», affirme Michel Gagnon.

«Nous croyons qu'il existe un lien direct entre le financement sectoriel des partis politiques et la décision du MTQ de confier le maximum de mandats à des firmes externes.»

Au cours de leur passage devant la commission Chabonneau, M. Gagnon a aussi relevé que les dirigeants ont tous défendu le système actuel d'attribution des contrats d'ingénierie, qui privilégie d'abord la compétence des firmes, sans les obliger à soumettre des prix pour leurs services.

Le cas de l'Ontario

En Ontario, souligne-t-il, les soumissions en réponse aux appels d'offres publics pour les services d'ingénierie sont évaluées à 50% en fonction de la performance professionnelle du consultant et à 50% en fonction du coût proposé pour le travail réalisé. Une exception à cette règle est prévue pour les contrats exigeant un plus haut degré de spécialisation ou de ressources. Dans ces cas particuliers, le poids relatif des prix ne compte plus que pour 10% de l'évaluation.

«Présentement, au Québec, une firme se qualifie pour un contrat, et négocie ensuite le coût de ses services avec le MTQ, dit M. Gagnon. C'est comme cela pour tous les contrats. Je peux comprendre que dans un dossier comme celui de l'échangeur Turcot, on privilégie la compétence avant le prix. Mais un mandat pour une couche d'usure, ça ne prend pas un docteur en asphalte pour réaliser ça.»