Toute sa vie, Angela Davis a suscité la controverse. Mais lundi, il n'y avait que des admirateurs pour l'entendre à l'Astral.

Icône du mouvement Black Power des années 70, la militante américaine Angela Davis était de passage à Montréal pour une conférence dans le cadre du Mois de l'histoire des Noirs. Sa légendaire coupe afro a depuis longtemps disparu. Mais son discours reste celui d'une militante. Forcément, car les problèmes raciaux aux États-Unis sont encore loin d'être réglés.

Progrès et reculs

«Le fait qu'on puisse élire un président noir en dit long sur le chemin parcouru», a lancé Mme Davis en entrevue, quelques instants avant de monter sur scène. «Certains aspects du racisme ont été réglés. Mais le racisme structurel, lui, persiste. Je le vois dans les prisons. Il y a actuellement plus de Noirs derrière les barreaux qu'il y avait d'esclaves en 1850. On en compte plus d'un million sur une population carcérale de 2,5 millions. Je le vois aussi dans l'éducation. Tous n'ont pas les mêmes privilèges. On peut donc dire que la situation s'est à la fois empirée et améliorée.»

Les politiques de droite, qui ont une influence sur tout le système, expliquent en bonne partie ce recul. «Un président ne peut pas faire la différence», a-t-elle souligné, en évoquant la désindustrialisation, le capitalisme sauvage et le démantèlement de l'État-providence qui gangrènent le pays de l'Oncle Sam.

Ce n'est guère mieux au Canada, a ajouté la militante, qui déplore les «directions conservatrices» du gouvernement en place. «On pourrait croire que vous êtes plus avancés que les États-Unis. Mais vous aussi, vous avez besoin de changements en profondeur. Il faut plus de socialisme.»

Mobilisation prometteuse

Le mouvement Occupy et ses dérivés - dont l'Idle No More amérindien - seront peut-être un facteur de changement. Elle voit ces initiatives citoyennes comme quelque chose de «prometteur». Pacifistes, autochtones, immigrants, Noirs, «1%»: tous ces mouvements sont liés les uns aux autres, ce qui n'aurait peut-être pas été aussi simple à l'époque. Elle est tout particulièrement heureuse que des pays africains, l'Égypte et la Tunisie en tête, aient sonné l'éveil des consciences avec leur Printemps arabe.

«Cela est tout à fait inspirant. Il se crée des solidarités qu'on n'aurait jamais pu imaginer. C'est aussi une bonne leçon d'humilité, pour nous, Nord-Américains, qui croyons être les meilleurs dans tout. On peut apprendre beaucoup de ces gens-là. Comme on peut apprendre beaucoup des Palestiniens, qui luttent pour leur terre depuis 1948.»

Même si elle n'est plus à l'avant-poste de la rébellion, la militante de 69 ans continue de livrer bataille sur tous les fronts. Outre la cause noire, elle s'intéresse particulièrement à l'industrie carcérale, au féminisme, à la philo et au communisme, et oeuvre comme conférencière après une longue carrière universitaire.

«Ennemi public»

On est loin de «l'ennemi public numéro un» qui avait semé l'émoi aux États-Unis en 1970. Accusée de complicité de meurtre, Angela Davis, communiste avouée, a figuré sur la liste des femmes les plus recherchées par le FBI, avant d'être incarcérée. L'affaire avait connu un retentissement international et rallié l'appui de plusieurs personnalités d'envergure, dont Jean-Paul Sartre et John Lennon.

Il y a deux ans, l'actrice Halle Berry avait publiquement exprimé son souhait de camper Angela Davis dans un film biographique. C'est plutôt un documentaire qui lui rendra justice. Présenté au Festival international du film de Toronto l'automne dernier, Free Angela Davis and all the Political Prisonners, de Shola Lynch, devrait prendre l'affiche à la fin du mois d'avril. Une occasion de retracer le parcours de cette militante radicale, devenue de son vivant une icône de la culture populaire.