Les autorités terre-neuviennes ont retiré son pouvoir d'enquête à la commission qui étudie le projet de forage Old Harry dans le golfe du Saint-Laurent. Cette décision sans précédent inquiète les écologistes. Mais, affirme-t-on, elle était nécessaire pour permettre aux audiences publiques de se dérouler dans toutes les provinces concernées.

Dans une lettre datée du 21 novembre, l'Office pétrolier offshore Canada-Terre-Neuve-et-Labrador a modifié le mandat de Bernard Richard. Nommé au mois d'août dernier, M. Richard est chargé de recueillir les commentaires entourant le projet de forage de la société Corridor Resources dans un gisement potentiel nommé Old Harry. Ce serait le premier forage pétrolier ou gazier offshore dans le golfe du Saint-Laurent.

À l'origine, M. Richard était investi des pouvoirs d'une commission d'enquête, avec la capacité de contraindre les témoins et leur accorder l'immunité, ainsi que d'exiger la production de documents. Et cela en vertu de l'Accord atlantique Canada-Terre-Neuve sur les hydrocarbures.

Mais, a-t-on constaté après coup, ces pouvoirs n'auraient pu être exercés hors du territoire terre-neuvien. C'est la raison invoquée pour modifier le mandat de M. Richard, qui agira maintenant en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, qui s'applique partout.

«En tant qu'évaluateur de l'étude d'impact environnemental et dans la conduite des audiences publiques pour recevoir les commentaires du public, vous n'aurez pas besoin des pouvoirs d'un commissaire», a décrété l'Office pétrolier.

Il est difficile de trouver un précédent au Canada pour un tel changement dans le mandat d'un commissaire, selon Me Simon Ruel, un spécialiste de la question. «Quand on crée un organisme avec pouvoir d'enquête, c'est plutôt rare qu'on lui enlève ces pouvoirs, dit Me Ruel. C'est sûr que c'est inusité. Je ne connais pas de précédent.»

«On a vu plutôt le contraire récemment avec la Commission Charbonneau», ajoute-t-il, en faisant référence à la commission d'enquête sur la corruption dans l'industrie de la construction, qui était privée au départ des pouvoirs d'enquête.

«C'est sûr que c'est mieux d'avoir des pouvoirs de contrainte, précise-t-il. Cela facilite beaucoup le travail. Le pouvoir de contrainte assoit la crédibilité de ces organismes, sans qu'ils aient besoin de l'exercer. Cela permet d'obtenir un maximum d'information. En qualité et en quantité. On a plus de certitude que l'information est crédible. Ça laisse aussi la possibilité de témoigner sous serment.»

Mentionnons par exemple que le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) a les pouvoirs d'une commission d'enquête, bien qu'il s'en serve rarement.

Joint par La Presse, M. Richard s'est dit en accord avec le changement et la raison invoquée pour le faire.

Il nie avoir perdu des pouvoirs. «Au contraire, la loi sur les enquêtes de Terre-Neuve-et-Labrador n'était pas suffisante pour me rendre au Québec et dans les autres provinces, dit-il. Sur le déroulement, il n'y a rien qui change.»

M. Richard a été nommé après que le gouvernement fédéral eut refusé de déclencher une commission fédérale d'examen, en dépit de la forte controverse que suscite le projet dans les cinq provinces riveraines du golfe.

Le secteur Old Harry est situé à quelques kilomètres des eaux québécoises et à 80 kilomètres des Îles de la Madeleine. Corridor a produit une étude d'impact environnementale à laquelle l'Office terre-neuvien a demandé des modifications. Une fois la version définitive de l'étude acceptée, et une fois passé un délai de 60 jours, M. Richard pourra lancer ses audiences publiques.

«Mon sentiment depuis le début, c'est que ce n'est pas une commission d'enquête publique, dit-il. Les gens vont vouloir venir témoigner.»

Les écologistes craignent entre autres que les scientifiques du gouvernement soient muselés, notamment ceux de Pêches et Océans Canada. Une telle controverse a éclaté récemment en Colombie-Britannique dans le cadre d'une commission d'enquête sur la crise du saumon qui était dotée des pleins pouvoirs. «Je pense que Pêches et Océans sera là, j'en suis certain», affirme M. Richard.

«Le fait d'utiliser la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale pour étudier un projet d'exploration est une innovation, dit-il. C'est une nouvelle exigence pour l'industrie. Mon mandat me permet d'entendre les gens, d'embaucher des experts et de partager mes conclusions avec l'Office et avec le public.»

«Je suis très à l'aise avec l'indépendance que j'ai et les ressources que j'ai identifiées, assure-t-il. Je ne me sens pas du tout limité.»