Il est 4h, dans le village de San Antonio Aguas Calientes. Les pleurs d'une femme de 26 ans percent le silence. Cramponnée à sa «mère» guatémaltèque, elle repousse le départ pour l'aéroport.

La jeune Montréalaise vient de vivre deux semaines dans une famille à près de 4000 kilomètres de chez elle. Pourtant, elle n'a jamais été aussi proche de qui que ce soit.

Ce n'est que quelques heures plus tard, assise à l'aéroport, qu'elle accepte de revenir sur les deux semaines de stage qui s'achèvent.

«Vous pouvez écrire mon nom dans votre reportage, si vous ne mettez pas une lettre majuscule.» En souriant timidement, easter* explique après mille et un détours que la minuscule, c'est sa façon à elle d'être «discrète». Elle ajoute qu'elle a, en vain, tenté de faire officialiser son nom avec une minuscule au Québec.

Issue d'un milieu difficile, elle a trouvé au Guatemala plus qu'une expérience professionnelle. «Ils m'ont donné un tout nouveau coeur. Ouais... un tout nouveau coeur. C'est ce que j'ai eu de plus près d'une famille normale.»

Être attendu le soir

Les sept participants au projet du Carrefour jeunesse emploi ont vécu deux semaines au sein de la communauté située à un peu plus d'une heure de la capitale, Guatemala City. Chaque soir, une fois les travaux dans l'école du village et les cours d'espagnol terminés, les jeunes retrouvaient des «parents» qui les attendaient, un repas sur le feu.

Pas question de fuir la dynamique familiale. Les jeunes Montréalais ont assisté à de longs repas animés, partagé les jeux de frères et soeurs, et répondu aux questions de mères inquiètes de les savoir à l'extérieur, le soir venu.

«Ils ne sont pas habitués à avoir un cadre comme celui-là, mais sans s'en rendre compte, ils rentrent dans ce cadre et ils en viennent à apprécier cette dynamique familiale», explique José-Maria Ramirez, l'un des accompagnateurs du groupe, pendant une tournée des familles d'accueil.

Comme pour confirmer ses dires, une des «mamans» du groupe lui raconte quelques minutes plus tard que l'un des jeunes, Ben, ne lui dit pas où il va le soir venu.

En rigolant, elle tire l'oreille de son «fils» d'adoption. Nul besoin de comprendre l'espagnol pour saisir qu'il a intérêt à rentrer tôt ce soir-là. Ben prend un air penaud, et la petite femme le serre dans ses bras.

C'est cet amour inconditionnel qui a bouleversé easter. Elle vit seule à Montréal et elle a une relation quasi inexistante avec sa famille. Elle évite les détails, mais explique qu'être attendue, le soir, c'était nouveau pour elle.

«Ils m'ont acceptée comme je suis, sans poser de questions. Je n'étais pas une invitée. Je faisais partie de la famille.» Elle soupire. «Jamais, jamais je n'ai été aussi proche de quelqu'un.»

Que ramène-t-elle de cette expérience à Montréal? Une lettre majuscule à son prénom? Elle sourit. «Je n'ai jamais été sûre de rien. On verra. Ça me rassure quand même sur le genre humain...»

De «no names» à vedettes

À des degrés différents, les sept jeunes du Carrefour jeunesse emploi sont repartis vers Montréal  marqués par les liens étroits tissés avec les familles guatémaltèques.

Quelques jours avant le retour, certains évoquent, mi-blagueurs, qu'ils aimeraient rester. «On est comme des vedettes, ici! Tout le monde nous dit bonjour! Je veux rester, moi!» s'exclame Caroline, pendant une excursion à Antigua. Plusieurs de ses compagnons de voyage acquiescent.

Le groupe déambule dans la rue qui mène aux chicken bus, les autobus colorés qui mènent aux villages voisins. En route, les jeunes répondent aux «buenas tardes» des Guatémaltèques. Même après deux semaines, ils s'en étonnent encore.

«C'est fou... dit Maxime. À Montréal, tu dis bonjour à quelqu'un que tu ne connais pas et tu manges une shot sur la gueule. Ici, tout le monde le fait!»

«Ils se sentent spéciaux, ici, explique Sala. C'est beaucoup pour eux. À Montréal, ils sont no-name! Ils réalisent qu'ils peuvent être quelqu'un. Le retour au Québec risque d'être difficile à ce niveau-là. On va être là pour les accompagner.»

* Afin de respecter sa volonté, nous avons accepté de ne pas écrire son nom avec une majuscule.