Ani Lodrö a beau boire son café dans un banal gobelet de carton, elle ne passe pas inaperçue.

Tête rasée, le corps enveloppé dans une toge rouge vin, la sexagénaire est transformée depuis qu'elle a quitté son poste de directrice des communications dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.

Il y a 11 ans, celle qui s'appelait jadis Danièle Lamoureux est devenue nonne bouddhiste. Elle a ensuite passé 10 ans au sommet d'une falaise, où elle occupait ses journées à méditer, à enseigner et à regarder passer les baleines. Aujourd'hui, elle enseigne au Centre de méditation Shambhala, à l'abri du brouhaha de la rue Sainte-Catherine, qui s'étire juste en bas.

«Je suis née en 1948, en pleine période duplessiste, et j'ai été élevée dans un couvent catholique. Toute ma jeunesse, j'ai prié pour les petits païens», raconte-t-elle.

Comme plusieurs, elle a tout balayé avec la Révolution tranquille. Mère célibataire, elle devient militante, marxiste, féministe... Et férocement athée. Jusqu'à ce que son mouvement se saborde. «Je m'étais tellement investie pour changer le monde que j'ai déprimé, dit-elle. Et ma quête a commencé.»

Ani Lodrö retourne dans les églises. En vain. C'est un livre sur les enseignements de Bouddha qui réussit finalement à l'ébranler. «Il parle de la souffrance humaine, et ça, contrairement à la foi, c'était quelque chose que je comprenais. Ça m'a semblé si évident, je suis tombée en amour», dit-elle.

Vers l'âge de 40 ans, elle devient officiellement bouddhiste. Mais cela ne suffit pas. «Juste avant sa mort, mon père m'a dit: «C'est la vie, ma fille, la chienne de vie...» Je ne voulais pas mourir aussi amère. Je voulais que ma vie ait un sens.»

Ani Lodrö avait, comme on dit, tout pour être heureuse. «Un bon travail, un appartement splendide, des tonnes d'amis, un fils formidable qui faisait des tournées avec le Cirque du Soleil, énumère-t-elle. Mais je vivais tout de même une grande tristesse existentielle. Mes larmes coulaient quand je regardais tous ces gens ternes et tristes dans l'autobus. Je me disais: «C'est ça, la vie?»»

En 2000, elle part donc pour l'abbaye Gampo, en Nouvelle-Écosse. Ce n'est pas un cloître, précise-t-elle, puisqu'on y a accès à l'internet et au téléphone. Loin des distractions habituelles, elle peut néanmoins passer des heures à méditer.

De retour au Centre Shambhala depuis un an, elle partage son savoir. Le midi, elle accueille quiconque veut venir manger en silence et échapper pendant une heure à la vitesse ambiante.

«Ici, ce n'est pas une question de religion, dit-elle. On veut cultiver la culture de l'attention et de la bienveillance. C'est urgent, parce que ça ne va vraiment pas bien sur la planète. Les êtres humains ont perdu confiance en leur bonté fondamentale.»

«Mais je peux dire que ma vie a un sens, conclut-elle. Quand je vais mourir, je n'aurai pas de regrets.»