Un homme qui se bat pour faire respecter le français en Alberta ne sera pas obligé de rembourser l'argent reçu pour payer ses frais juridiques, a fait savoir vendredi la Cour suprême du Canada.

Il s'agit d'un bon coup de pouce pour cet Albertain qui exige depuis des années que les procédures dans sa province se déroulent aussi en français.

Gilles Caron, un camionneur d'Edmonton, a reçu une contravention pour avoir effectué un virage illégal à gauche.

Le constat d'infraction a été émis uniquement en anglais, tout comme les procédures à la cour. Pour cette raison, M. Caron estime qu'elles sont invalides et il les conteste depuis 2003.

Le combat s'est avéré dispendieux étant donné les questions constitutionnelles soulevées. Manquant d'argent, M. Caron a demandé de l'aide à la Cour supérieure pour faire valoir ses droits linguistiques, qui lui a accordé quelque 120 000 $.

Insatisfait, le gouvernement de l'Alberta a porté en appel cette décision et exigé le remboursement par M. Caron de tout ce qu'il avait obtenu.

Selon la province, la Cour supérieure n'avait pas le pouvoir d'accorder cet argent.

Vendredi, le plus haut tribunal du pays a jugé à l'unanimité que ces fonds avaient été correctement versés à M. Caron pour «éviter une injustice, même si le litige a lieu en cour provinciale.

«Lorsque des tribunaux d'instances inférieures sont visés, la cour supérieure peut leur venir «en aide» (sans s'ingérer) et intervenir dans les seuls cas où ils n'ont pas les pouvoirs nécessaires pour intervenir et où il est essentiel de prévenir une injustice», a écrit le juge Ian Binnie de la Cour suprême.

Ici, il s'agissait d'éviter que M. Caron ne soit privé de ses droits, faute d'argent pour se présenter devant les tribunaux.

La Cour suprême a aussi jugé qu'il était adéquat que des fonds soient offerts à M. Caron parce qu'il s'agissait d'une affaire d'intérêt public.

«Le préjudice découlant de l'incertitude persistante concernant les droits linguistiques de la minorité francophone en Alberta transcende la situation particulière de M. Caron et risque de porter atteinte à l'intérêt général public des Albertains», estime le juge Binnie.

Cette décision va s'appliquer à l'ensemble du pays. Elle confirme les pouvoirs des cours supérieures d'accorder du financement dans certaines causes, ce qui pourrait faciliter la vie des citoyens moins bien nantis qui ont des droits à faire valoir.

Dans cette affaire, une simple contravention routière a pris des proportions gigantesques vu la contestation constitutionnelle.

Le procès a requis 12 témoins, dont huit experts, 9164 pages de transcriptions et 93 pièces ont été déposées.

M. Caron a fait beaucoup d'efforts pour financer sa cause, souligne la Cour. En plus des ses propres épargnes, il a obtenu des fonds du Programme de contestation judiciaire qui a cependant été aboli pendant que ses procédures judiciaires suivaient leur cours. C'est ce qui a poussé M. Caron à demander de l'aide à la Cour supérieure. Le programme a depuis été rétabli pour les contestations linguistiques.

Mais la bataille de M. Caron n'est pas terminée.

La Cour d'appel de l'Alberta va bientôt entendre le fonds de la cause, après qu'un tribunal inférieur ait jugé que les droits linguistiques de cet Albertain avaient été violés.

Vu l'importance de cette affaire linguistique, il est fort probable qu'elle rebondisse, elle aussi, à la Cour suprême dans quelques années.