Le nombre d'enfants canadiens maltraités par leur famille a explosé depuis 10 ans, mais une plus faible proportion d'entre eux reçoit des services de la part des centres de protection de la jeunesse.

En 1998, plus d'un jeune Canadien sur trois (35%) ayant fait l'objet d'un signalement avait bénéficié de services dits «continus». En 2008, à peine un sur quatre (27%) y a eu droit. Au cours de cette période, la proportion de signalements retenus - tout près de 100 000 - n'a pourtant guère chuté.

En clair, cela signifie que quelques dizaines de milliers d'enfants dont les problèmes familiaux ont été reconnus à la suite d'une enquête n'ont pas été pris en charge par la protection de la jeunesse des différentes provinces.

Est-ce une question d'argent? «La nécessité de contrôler les coûts peut en partie expliquer les choses», a confirmé en entrevue le professeur Nico Trocmé, chercheur au Centre de recherche sur la famille et les enfants de l'Université McGill.

Au Québec, le budget des centres jeunesse frôle déjà le milliard de dollars et augmente d'année en année. En Ontario, il est passé de 500 millions à 1,4 milliard depuis neuf ans. Et le gouvernement ontarien ne veut pas verser un cent de plus, révèle M. Trocmé.

«On peut s'en inquiéter lorsque aucune autre ressource n'est disponible, commente le chercheur. Mais au Québec, on développe en parallèle des services de première ligne, ce qui permet de garder les cas extrêmes pour les services de protection.»

L'essentiel des données de M. Trocmé provient de la troisième étude pancanadienne sur la violence et la négligence envers les enfants, qu'il a présentée à Montréal hier, à l'occasion du congrès biennal de l'Association des centres jeunesse du Québec. Cette étude, qui a touché les dossiers de 16 000 enfants de moins de 16 ans, vise à mieux comprendre le profil des familles ciblées par les enquêtes des services sociaux. Elle est publiée tous les cinq ans par l'Agence de santé publique du Canada.

Entre 1998 et 2003, le nombre de signalements a augmenté de 125%, pour ensuite plafonner. «À l'époque, les services de protection venaient d'élargir leur mandat, explique Nico Trocmé. On avait réalisé que la négligence et l'exposition à la violence conjugale avaient un effet beaucoup plus dévastateur qu'on ne l'avait cru.»

En 2008, cela se reflète toujours dans la répartition des 85 000 signalements retenus à la suite de mauvais traitements réels (et non de simples risques). Dans 78% des cas, l'enfant avait été témoin de violence conjugale (34%), été victime de négligence (34%) ou de sévices psychologiques (10%).

Plus difficiles à détecter, les agressions sexuelles ont été reconnues dans seulement 3% des dossiers, tandis que 20% des enfants avaient subi de la violence corporelle.

Les États-Unis et l'Australie voient aussi augmenter le nombre d'enquêtes, mais ne retiennent pas plus de cas qu'avant, contrairement à ce qui se passe au Canada. «Ici, on interprète de façon plus large la notion de famille dans le besoin et on offre plus de services», commente Nico Trocmé.

Dans un an, le professeur de travail social déposera un rapport plus détaillé sur le Québec. «Le Québec a un filet de sécurité sociale plus développé, qui semble faire une différence, observe-t-il déjà. Ses services de protection entrent en contact avec moins de familles.»