Pendant trois ans, dont deux où elle était mineure, Clara a été victime des pires sévices de la part de son chum. Elle a arrêté l’école. Elle a perdu ses amis. Elle s’est retrouvée plusieurs fois à l’hôpital. Elle en porte encore des marques. Mais elle s’en est sortie.

« Au début, il me faisait croire que tous les chums font ça à leur blonde. Moi, je me disais que c’était comme ça, parce que je n’avais jamais eu d’autre relation. Avec le temps, je me suis rendu compte que ce n’est pas normal. »

C’est Clara qui a contacté La Presse pour raconter son histoire. « J’aimerais faire de la sensibilisation sur ce que j’ai vécu, car ça peut arriver à n’importe qui », dit-elle. La violence dont elle a été victime est particulièrement sévère pour une adolescente. Mais son récit montre l’ampleur de la toile que tissent les agresseurs et la difficulté pour une victime de s’en échapper.

Clara, ce n’est pas son vrai nom. Nous ne la nommons pas parce qu’elle était mineure au moment des évènements. Son ex est accusé de voies de fait, d’agression armée, d’infliction de lésions corporelles et d’introduction par effraction. Il attend son procès.

Elle avait 14 ans lorsqu’elle a rencontré l’« homme idéal ». Il en avait 17. Ils sont restés ensemble sept mois durant lesquels Clara est tombée enceinte. Il a voulu qu’elle se fasse avorter. Elle l’a quitté.

Ils se sont retrouvés 18 mois plus tard. L’adolescente vivait dans un logement situé près de chez ses parents avec son bébé. Il a emménagé avec elle. Pendant cinq mois, tout s’est bien passé. Jusqu’à ce que, à 16 ans, elle tombe enceinte de leur deuxième enfant. Tout a alors basculé.

Ça a commencé par de la violence verbale, raconte la jeune femme. Il disait : “C’est tellement pas beau, une femme enceinte.” J’avais de grosses nausées. Quand je vomissais, il disait : “Ramasse-toi, c’est dégueulasse.”

Clara

Puis, un soir d’hiver, alors qu’elle en était à son troisième ou quatrième mois de grossesse, il l’a agressée. « Il m’étranglait. Il me criait après. Il me menaçait avec un couteau. Il m’a embarrée dehors. » Quand elle a dit qu’elle appellerait la police, il s’est infligé des blessures et a affirmé qu’il l’accuserait devant les agents.

Ce soir-là, elle a eu peur qu’il ne la tue pendant la nuit. Après cet évènement, il y a eu de la violence tous les jours, dit-elle. « J’avais des ecchymoses tout le temps, partout sur les bras, sur les jambes. »

Il y a eu cette fois où il l’a fait débouler l’escalier. Elle s’est retrouvée à l’hôpital, enceinte, avec une commotion cérébrale, cachant aux médecins les marques sur ses bras. « Tu as envie de dire que c’est ton chum qui t’a frappée, sauf qu’en même temps, tu l’aimes et tu penses qu’il va changer. » Elle a raconté qu’elle était tombée dans l’escalier avec ses talons hauts. Ils lui ont donné congé sans poser plus de questions.

Puis cette autre fois, quelques heures après l’accouchement, où il l’a frappée à la tête pendant qu’elle allait chercher une couche. Il était irrité parce qu’elle était « trop émotive ».

Pendant trois ans, il a réussi à l’isoler. Il lui a interdit de retourner à l’école, qu’elle avait arrêtée après sa première grossesse. Il l’a empêchée de travailler. Il a épié son téléphone pour surveiller à qui elle parlait. « Je n’étais jamais seule avec quelqu’un d’autre. Il était toujours là. »

La police a été appelée plusieurs fois. Par des voisins, par ses proches. Elle refusait chaque fois de porter plainte.

J’avais peur de ne pas être prise au sérieux. J’étais jeune, et en plus, j’étais maman. C’est comme la pire image. Je rentrais dans les stéréotypes : la petite jeune qui a décidé d’avoir des enfants par accident et qui a vécu de la violence conjugale.

Clara

À ses amis qui l’invitaient à sortir, elle répondait que son chum ne voulait pas. « Ils sont juste partis. Ils ne comprenaient pas pourquoi je restais dans une relation toxique. Mais moi, je ne le voyais pas, que c’était toxique. »

À sa mère qui lui demandait pourquoi elle avait des bleus, elle inventait des histoires. « Elle savait que ce n’était pas vrai. Elle essayait de m’en parler, et je me fermais tout de suite. » Sa maman a bien tenté d’interdire la relation. Elle a contacté les policiers. « Ça m’a juste éloignée d’elle. Je sentais que je ne pouvais pas lui parler. Je voyais que ça lui faisait de la peine, alors je ne disais rien. »

Pendant toutes ces années, Clara a documenté les sévices dont elle était victime, prenant en photo chaque bleu, chaque coupure. « Je me disais qu’un jour, je serais prête. Puis on dirait que tu n’es jamais prête. Tu donnes toujours une dernière chance. »

Un soir de mars, les choses ont atteint un autre niveau. Le couple ne vivait plus ensemble depuis quelques mois. Lui avait accepté de retourner chez son père. Clara était sortie avec les amies qui lui restaient. Sa mère gardait les enfants. Il a suivi l’adolescente jusque chez elle. Quand sa mère est partie, il est entré pour savoir où et avec qui elle avait passé la soirée.

Il m’a rentré la tête dans le mur une centaine de fois. Je saignais de la bouche, du nez. Mon visage était déformé. Il y avait des flaques de sang partout.

Clara

Elle a appelé sa mère pour aller à l’hôpital. Diagnostic : traumatisme crânien.

Elle a tout avoué et sa maman a contacté la police. La jeune femme n’a pas voulu porter plainte, mais l’agresseur s’est vu imposer un interdit de contact, auquel il a contrevenu à de multiples reprises.

C’est un soir où elle était au resto que Clara a atteint le point de non-retour. Son ex s’est pointé au restaurant. Il l’a entraînée dans une ruelle et il l’a violée. En partant, il a lâché : « Tu iras te faire checker parce que je sais pas si j’ai quelque chose. »

« Je me suis dit : plus jamais », se souvient la jeune femme. Elle a porté plainte.

« Je ne pensais pas que ça allait être aussi difficile. Ça vient avec plein d’émotions, de la frustration, de la tristesse. Tu dois raconter ton histoire cent fois à cent personnes différentes, raconte-t-elle. Je faisais des cauchemars. Je pense que pendant deux ou trois semaines, je n’ai pas dormi du tout. Je n’arrivais pas à m’endormir, je me réveillais en sueur. J’avais des sautes d’humeur. Je ne mangeais plus. »

Elle est allée jusqu’au bout, pour ses enfants. « Je me suis dit : mieux vaut qu’ils n’aient pas de père et qu’ils soient heureux plutôt qu’ils en aient un et qu’ils voient ça toute leur vie. »

Aujourd’hui, elle est retournée à l’école. Elle essaie de refaire sa vie.

« Ça reste avec moi tout le temps. On ne peut pas oublier. Mais c’est possible de s’en sortir. Il faut juste un déclic. »