Un des ingénieurs arrêtés et accusés de fraude, de complot et de corruption relativement aux contrats de la Ville de Montréal dans le cadre du projet Fronde de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) a joué un rôle de premier plan dans la construction du nouvel échangeur Turcot.

Le vice-président infrastructures du Groupe SM International, l'ingénieur Dany Moreau, une des huit personnes arrêtées et accusées lors de la frappe effectuée par l'UPAC mardi, était aussi, jusqu'à hier, l'ingénieur principal du « certificateur indépendant », qui examine, approuve et certifie la conformité de tous les ouvrages construits dans le cadre de ce gigantesque projet de 3,7 milliards.

Le titre d'ingénieur principal faisait de M. Moreau l'ingénieur numéro 1 du groupe de conseillers experts en ingénierie mandaté en vertu d'un contrat public de 22 millions pour servir de liaison entre le ministre des Transports (ou son représentant, le Ministère) et le consortium KPH Turcot, responsable de la conception et de la construction du plus grand échangeur autoroutier du Québec.

Ses honoraires étaient établis à 133 $ l'heure en vertu du contrat signé en 2013, que La Presse a obtenu.

À la suite des arrestations effectuées par l'UPAC mardi, le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l'Électrification des transports (MTMDET) a demandé hier « le remplacement immédiat de M. Moreau à titre d'ingénieur principal » et a retiré le nom de cet ingénieur de toutes les communications relatives au projet Turcot. Le Groupement des firmes d'ingénierie ARUP Canada et Les Consultants SM, qui a obtenu le mandat de certificateur indépendant à l'été 2013, a proposé à titre intérimaire un nouvel ingénieur, dont le nom n'a pas été rendu public hier, dans l'attente de sa confirmation par le Ministère.

Selon la porte-parole du MTMDET, Sarah Bensadoun, un remplaçant permanent sera désigné au cours des prochaines semaines par le Groupement SM/ARUP, avec l'approbation du Ministère.

Les yeux et les oreilles du ministère

Le certificateur indépendant du projet Turcot est formé par deux firmes de génie, soit ARUP Canada et Les Consultants SM. En vertu du mandat de 22 millions qui lui a été confié en 2013 par le ministère des Transports du Québec, le Groupement devra produire quelque 450 attestations de conformité des plans et devis et 250 attestations touchant le volet construction de tous les ponts, viaducs et tronçons routiers du projet Turcot.

Le certificateur indépendant doit aussi offrir « des services de consultants en coûts visant notamment à effectuer les vérifications requises relatives à l'existence et à l'ampleur d'un dépassement de coûts », selon la description de son mandat figurant au Registraire des entreprises du Québec.

En ce sens, le certificateur indépendant est les yeux et les oreilles du Ministère dans le gigantesque projet de l'échangeur Turcot, dont la construction doit se poursuivre jusqu'à la fin de 2020.

En tant qu'ingénieur principal et chargé de projet, Dany Moreau avait la responsabilité d'assurer « la coordination, l'intégration et la cohérence des services professionnels fournis par l'ensemble de l'équipe du Certificateur indépendant ».

De plus, le mandat précise que « toutes les communications officielles entre le représentant du fournisseur (KPH Turcot) et le représentant du ministre » devaient passer par M. Moreau, dont le nom apparaît en plein centre de l'organigramme du certificateur.

Un partenaire écarté

Le remplacement de M. Moreau n'est pas le premier changement majeur exigé par le Ministère dans la composition de son certificateur indépendant pour des raisons d'éthique.

À l'origine, le groupement qui compose le certificateur était formé de trois firmes de génie : ARUP Canada, Les Consultants SM et la firme d'ingénierie MMM. Cette dernière a toutefois été écartée du mandat public de 22 millions, à l'été 2015, pour cause de conflit d'intérêts, après qu'elle a été rachetée par la firme WSP Global (anciennement Genivar).

WSP a des intérêts dans le consortium KPH Turcot et a conçu une grande partie des ouvrages du projet. MMM se serait ainsi retrouvée dans la position d'avoir à examiner et à approuver des plans et devis conçus par son nouveau propriétaire.

Nommé lors des audiences de la commission Charbonneau

Le cas de Dany Moreau est toutefois un peu différent. Le nom de M. Moreau avait en effet surgi lors des audiences de la commission Charbonneau dès janvier 2013, soit six mois avant la signature du contrat du certificateur indépendant dont il était l'ingénieur principal. À l'époque, l'ingénieur et fondateur de la firme Génius, Michel Lalonde, avait identifié Dany Moreau comme son contact, au sein du Groupe SM, société mère des Consultants SM, pour la coordination des firmes impliquées dans la collusion touchant les contrats de consultants de la Ville de Montréal.

C'est d'ailleurs pour son rôle présumé dans ce cercle de corruption que M. Moreau a été arrêté par l'UPAC mardi, et non pour ses fonctions dans le projet Turcot.

Précisons que ces accusations n'ont toujours pas été prouvées devant les tribunaux et que M. Moreau avait nié les allégations de Michel Lalonde à son endroit dans une déclaration sous serment adressée à la commission Charbonneau.

« À l'époque, a expliqué hier Mme Bensadoun, le Ministère avait fait des démarches auprès de l'Autorité des marchés financiers » (AMF) pour vérifier si les entreprises qui ont soumissionné pour le mandat du certificateur indépendant avaient bien le droit d'obtenir le contrat. Ces firmes, assure-t-elle, avaient obtenu le feu vert de l'AMF.

Mme Bensadoun a ajouté qu'à la suite des arrestations effectuées mardi par l'UPAC, « le sous-ministre des Transports a transmis mardi une lettre au président-directeur général de l'AMF pour savoir si les trois firmes impliquées dans ces arrestations respectent toujours les conditions d'intégrité requises pour maintenir leur autorisation de contracter avec le Ministère ».

En plus de M. Moreau, du Groupe SM et du fondateur de cette firme, Bernard Poulin, l'UPAC a aussi arrêté deux ex-ingénieurs de la firme de génie CIMA+ et un ex-ingénieur de la firme Teknika HBA, relativement aux activités d'un cercle de collusion qui aurait truqué des contrats de la Ville de Montréal totalisant 160 millions.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La construction du nouvel échangeur Turcot est un gigantesque projet de 3,7 milliards.