Un automobiliste soumis à la tolérance zéro qui s'est fait prendre en état d'ébriété au volant, de surcroît dans un véhicule qui n'était pas équipé d'un éthylomètre comme il le devait, a quand même été acquitté.

La raison de cet acquittement est que, pendant les 14 minutes au cours desquelles il a attendu pour passer le test de détection d'alcool (ADA), assis dans le véhicule de patrouille, le policier aurait dû lui donner son droit à l'avocat, estime la juge Suzanne Costom. Or, ce n'est qu'après que Normand Vachon eut passé le test ADA, qui indiquait « fail », que ses droits lui ont été lus. Le fait que M. Vachon ait répondu : « Je ne comprends rien. Je ne veux pas t'écouter là » et qu'il ait ajouté qu'il n'avait « pas besoin d'avocat » ne change rien. 

Dans une décision rendue récemment, la juge Costom estime que les droits de M. Vachon ont été violés, et elle a exclu de la preuve les résultats du test ADA et de même que celui de l'alcootest, administré plus tard au poste de police. L'exclusion de ces preuves, comme le demandait la défense, a entraîné l'acquittement de M. Vachon.

PERMIS NON PAYÉ

L'incident est survenu la nuit du 10 mai 2014, sur l'autoroute 15 en direction nord. À 2 h 15, deux policiers de la SQ interceptent un véhicule dont le propriétaire n'avait pas payé son permis de conduire. 

Après vérification, sur l'accotement de l'autoroute, il appert que le conducteur, Normand Vachon, est soumis à la tolérance zéro alcool, et n'est autorisé à conduire qu'un véhicule muni d'un éthylomètre. Or, le véhicule n'en a pas. De plus, une odeur d'alcool émane de la voiture. 

Ne sachant pas si l'odeur vient des passagers ou du conducteur, le policier Muylaert ordonne à ce dernier de sortir du véhicule. Sa bouche sent l'alcool. Il est 2 h 31. Le policier lui ordonne de se soumettre à un test de détection d'alcool. Comme les policiers n'ont pas cet appareil dans leur véhicule, ils doivent demander à des collègues de leur en apporter un. Pendant ce temps, le conducteur est placé sur la banquette arrière du véhicule de patrouille. Le policier expliquera à la juge qu'il n'était pas sécuritaire d'attendre debout sur le bord de l'autoroute.

LE CRITÈRE D'« IMMÉDIATETÉ »

L'appareil arrive à 2 h 50 et M. Vachon est soumis au test, auquel il échoue. Le policier le met alors en état d'arrestation pour facultés affaiblies et lui lit ses droits. M. Vachon a la réaction citée plus haut. Rendu au poste, le policier reprend la lecture des droits et M. Vachon refuse à trois reprises de contacter un avocat. Il passe l'alcootest, auquel il échoue aussi. Il est libéré à 4 h 36.

La juge évalue qu'il s'est écoulé 19 minutes entre le moment où le policier Muylaert a eu des soupçons sur l'état de M. Vachon et le moment où ce dernier a été soumis au test. Elle conclut que ce laps de temps ne respecte pas le critère d'« immédiateté ».

APPLIQUER LE DROIT

Le policier Muylaert croyait avoir agi dans les règles, car il se tient au courant au courant du droit et de la jurisprudence, a-t-il fait valoir. Ainsi, il disait avoir appris qu'un délai de 15 minutes pour passer le test était considéré comme raisonnable pour le critère d'immédiateté. Il savait qu'autrement, il lui aurait fallu libérer M. Vachon. Or, la juge considère que l'agent était mal informé. Les 14 minutes passées dans le véhicule de patrouille l'obligeaient à donner les droits à M. Vachon, avant même qu'il passe le test.

Le policier a admis que c'est le résultat « fail » du test de détection, qui lui a donné des motifs de croire que M. Vachon conduisait avec les facultés affaiblies. Sans ce résultat, il ne l'aurait pas arrêté.

Le procureur du ministère public dans cette affaire, Me Alexandre Gautier, n'a pas écarté la possibilité d'en appeler du jugement, mais a indiqué qu'aucune décision n'était prise pour le moment. MLaurence-Fanny Lestage représentait l'accusé.

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Ce que dit la loi

En vertu de l'article 254 (2) du Code criminel, pour vérifier la présence d'alcool ou de drogue lorsqu'il a des soupçons, l'agent de la paix peut ordonner à la personne de subir immédiatement un test de coordination, et de fournir immédiatement un échantillon d'haleine.

En vertu de la jurisprudence, la juge stipule que lorsque les deux critères de 254 (2) sont remplis, des agents de la paix peuvent détenir une personne sans qu'elle puisse bénéficier de son droit à l'avocat. Ceci parce que le droit des détenus doit céder le pas à l'intérêt de la société de combattre ce fléau qu'est l'alcool au volant. Dans le cas de M. Vachon, elle juge que l'immédiateté a fait défaut, si bien que le droit à l'avocat devait être donné.

Les jugements en trois extraits

Immédiateté

« Puisque le critère d'immédiateté n'a pas été respecté, les résultats obtenus par l'appareil de dépistage sont le fruit d'une fouille abusive, en violation de l'article 8 de la Charte.

Vulnérabilité

« Ici, les violations ne sont pas anodines ou passagères. Le requérant était dans une situation de vulnérabilité et le fait de ne pas l'avoir avisé de son droit à un avocat l'a empêché d'avoir accès aux conseils qui lui auraient permis de prendre une décision éclairée quant au fait de fournir ou de ne pas fournir des échantillons d'haleine.

Application

« Le comportement de l'agent lors de l'intervention tend à établir qu'il n'était pas aussi au courant qu'il le croyait. Ou pire, que les communiqués envoyés aux agents de la Sûreté du Québec ne les sensibilisent pas à l'importance d'examiner l'opportunité de mettre en application le droit d'un détenu à l'assistance d'un avocat quand un test de dépistage ne peut pas être administré dès l'éveil des soupçons. »