Nouveau revirement dans l'affaire Cédrika Provencher: après avoir imposé une ordonnance de non-publication sur les informations déjà publiées cette semaine, la cour vient d'autoriser à nouveau la divulgation des détails de l'enquête policière sur le principal suspect du meurtre de la fillette.

Les avocats de La Presse et Radio-Canada menaient de front des procédures afin de permettre au public de prendre connaissance du maximum d'éléments de preuve concernant cette enquête.

Mardi, plus de 800 pages de documents avaient été rendues publiques au palais de justice de Trois-Rivières, avec l'accord de toutes les parties impliquées. Le procureur de la couronne avait ensuite fait marche arrière en constatant que des méthodes d'enquête de la police devaient être protégées. La cour avait émis une ordonnance de non-publication afin de permettre la tenue d'un débat à ce sujet.

Une nouvelle décision rendue aujourd'hui permet de raconter l'essentiel du scénario mis en place par la Sûreté du Québec (SQ) pour infiltrer tous les pans de la vie de Jonathan Bettez, principal suspect dans l'enlèvement et le meurtre de l'enfant, en 2007. Certains détails sur la façon dont les policiers peuvent traquer les pédophiles resteront toutefois interdits de publication.

Refus du polygraphe

Jonathan Bettez est dans la mire des enquêteurs depuis les semaines qui ont suivi la disparition de la fillette: il est le seul propriétaire d'une Acura TSX rouge - correspondant à la description d'un véhicule suspect - à ne pas avoir pu fournir d'alibi pour la soirée où Cédrika Provencher est disparue. Il a refusé à plusieurs reprises de se soumettre à un test de polygraphe.

Jonathan Bettez, fin trentaine, ne fait face à aucune accusation en lien avec la mort de Cédrika Provencher. Il est maintenant accusé de possession de pornographie juvénile, après que la police ait fouillé ses ordinateurs. Ceux-ci ne contenaient pas directement ce type de fichiers, mais la Couronne croit pouvoir convaincre la justice que l'ordinateur de Bettez a laissé des traces informatiques incriminantes. Bettez a plaidé non-coupable.

Dans l'espoir que le suspect révèle des informations sur Cédrika Provencher, les policiers avaient organisé un faux concours et avaient fait gagner à Bettez un séjour dans un hôtel de luxe de Mont-Tremblant, en 2009.

Entouré de policiers infiltrés

L'homme de Trois-Rivières, dans la mire des enquêteurs depuis des années, était loin de se douter que les autres gagnants de ce «concours» étaient des agents d'infiltration présents pour tisser des liens avec lui. Même le chauffeur de limousine envoyé pour cueillir le jeune homme chez lui était un agent d'infiltration.

Jonathan Bettez avait d'importantes dettes de jeu et était socialement isolé: la SQ a décidé d'exploiter ces failles.

Pendant les douze mois qui ont suivi, en 2009 et 2010, Bettez a été mené en bateau par l'un d'eux, un policier jouant le rôle d'un mystérieux homme d'affaires avec lequel il s'était lié d'amitié. Parties de golf, matchs de hockey au Centre Bell et restaurants chics de Trois-Rivières deviennent leurs lieux de rencontre. L'«homme d'affaires» a remis des dizaines de milliers de dollars en prêts ou en rémunérations à Bettez pour des transferts de véhicules ou de mystérieuses livraisons. 

L'opération a finalement échoué après 25 rencontres. Seul élément troublant recueilli: en voyant une fille «d'environ 10-12 ans» passer près de lui en costume de bain un jour d'août 2009, Bettez aurait dit «as-tu vu le bikini?» à son nouvel ami, selon la police. «Elle est un peu jeune», aurait-il rapidement ajouté.

Caméras partout

Ces informations sont contenues dans les déclarations déposées par la SQ afin d'obtenir des mandats de surveillance sur Bettez et ses proches. 

Les déclarations de la SQ montrent aussi que Jonathan Bettez et ses proches sont sous surveillance serrée de la police depuis la disparition de Cédrika Provencher en 2007.

Dans les mois qui ont suivi la découverte du crâne de la petite fille en décembre 2015, la police a demandé et obtenu un mandat afin d'installer des caméras au domicile de Bettez, de ses parents, de sa soeur, de deux amis et d'une ex-amoureuse. La police a reçu le même feu vert pour mettre les téléphones de ces mêmes individus sous écoute.

Par ailleurs, la police avait établi un plan pour «provoquer» Bettez et le pousser à entrer en communication avec des proches: on voulait notamment médiatiser la remise des restes de Cédrika Provencher à sa famille ou encore envoyer des messages au suspect pour le pousser à parler.