Après deux semaines de «repos et de réflexion», Gilles Vaillancourt vient d'annoncer sa décision: il quitte la vie politique.

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«Aujourd'hui, je m'adresse à vous pour la dernière fois comme maire de Laval, a-t-il déclaré aux journalistes. J'ai en effet décidé de quitter mon poste et de me retirer définitivement de la vie politique.»

Il a expliqué d'entrée de jeu faire cette sortie «malgré la recommandation contraire» de son médecin. «Comme société, nous vivons des moments très difficiles, voire pénibles, alors que tous les élus, à quelque niveau que ce soit, sont accusés de tous les maux. Nous entendons toutes sortes de choses, nous faisons face à des allégations qui, sans être prouvées, altèrent de façon irrémédiable la réputation des gens en qui vous aviez placé votre confiance.»

Il se dit «profondément blessé», mais assure avoir «toujours agi dans l'intérêt des Lavallois, en pensant d'abord à leur mieux-être et à celui de leur famille».

Il a vanté ses réalisations depuis plus de 23 ans, notamment l'arrivée du métro et la construction du pont de la 25. Laval, a-t-il noté, «n'est plus une banlieue-dortoir» et jouit d'une excellente santé financière reconnue par les agences de crédit.»

«Je vous demande de regarder votre ville et de constater ce qu'elle est devenue. Je laisse maintenant aux autres la tâche de poursuivre ce formidable projet de société. Je n'avais qu'une seule passion, celle de réussir Laval.»

Après son discours, il a quitté la salle du conseil où se tenait la conférence de presse sans répondre aux journalistes. Il a tenu à remercier la presse «pour la couverture» qu'elle lui a donnée tout au long de sa carrière.

Quelques minutes après l'annonce, une conseillère du Parti du ralliement officiel (PRO), Claire Le Bel, a annoncé qu'elle siégerait dorénavant comme indépendante. Elle explique dans son communiqué que le départ de M. Vaillancourt «ne suffit pas pour assainir la situation à Laval». Pour la première fois depuis 2001, le parti PRO des Lavallois ne détient pas les 21 sièges à l'hôtel de ville.

L'opposition a salué avec grandiloquence cette démission. «Le 9 novembre, en ce jour, le mur de Berlin est tombé. Aujourd'hui, le maire Vaillancourt a démissionné», a dit la chef du Mouvement lavallois (ML), Lydia Aboulian. Elle espère que sa formation, qui n'a fait élire aucun conseiller en 2009, arrivera «à rétablir le lien de confiance avec les Lavallois» et à leur démontrer «qu'on peut faire de la politique différemment».

L'autre porte-parole du ML, Marc Demers, déplore que l'ex-maire Vaillancourt n'ait «jamais manifesté le moindre regret dans son discours d'avoir trahi la confiance de ceux qui l'ont élu». L'ex-policier estime qu'il est peu crédible dans le rôle de victime. «Avec la quantité de documents qui ont été saisis, ce n'est qu'une question de temps: ça va prendre quatre à six mois avant que des accusations soient portées.»

Selon Robert Bordeleau, candidat à la mairie de Laval depuis 2006 et chef du Parti au service du citoyen, «c'est l'ère du Verseau: la page est tournée concernant Gilles Vaillancourt». Il estime que l'événement d'aujourd'hui est une «consécration», mais il déplore les effets qu'ont eus les années Vaillancourt sur l'image de la Ville. «C'est une réputation qui va être très dure à refaire. On a une image de ville corrompue.»

Période de repos

Âgé de 72 ans, le maire de Laval depuis 1989 a annoncé le 24 octobre dernier avoir «décidé de prendre du repos afin de retrouver cette quiétude d'esprit nécessaire pour effectuer une réflexion». Ses deux résidences ont fait l'objet de trois perquisitions policières, et la police a visité des succursales bancaires où il avait loué des coffrets de sûreté.

L'Unité permanente anticollusion a frappé pour la première fois à Laval le 4 octobre à quatre endroits, dont l'hôtel de ville, les serveurs informatiques ainsi que la maison du maire.

Le lendemain, les policiers se sont intéressés à une autre résidence de Gilles Vaillancourt, un luxueux appartement situé sur le chemin des Cageux, ainsi qu'à un local d'entreposage.

Deux vagues de perquisitions ont par ailleurs touché des entreprises qui obtiennent la majorité des contrats à Laval, puis, cette semaine, quatre firmes de génie, Aecom, Genivar, Dessau et Cima +.

Peu après l'annonce de son retrait, le comité exécutif de Laval a pris ses distances, assurant notamment que la Ville n'était pas en crise. «La seule crise [dont] on peut parler à Laval actuellement, c'est la crise qui affecte M. Vaillancourt. C'est une crise personnelle et pas une crise autre que cela», a déclaré Basile Angelopoulos, vice-président du comité exécutif.

«Maire à vie» de Laval

Gilles Vaillancourt règne sans opposition sur sa ville depuis 2001. Sa formation, le Parti du ralliement officiel (PRO) des Lavallois, a réussi cette année-là à faire élire ses 21 candidats et à éliminer l'opposition à l'hôtel de ville.

Plus aucun conseiller de l'opposition n'y a siégé depuis. Quant aux adversaires qui se sont présentés à la mairie, Gilles Vaillancourt n'en a fait qu'une bouchée. Il a notamment remporté son dernier mandat avec une majorité de 37 866 voix, soit 61%.

Ses victoires et sa façon de diriger lui ont valu les surnoms de «roi de Laval» et de «maire à vie».

Né le 9 janvier 1941 à Laval-des-Rapides, l'une des 14 municipalités qui ont fusionné en 1965 pour former Laval, il est l'aîné d'une famille de 10 enfants. Son père, Marcel, était pompier et a ouvert un magasin de meubles, où il a travaillé dans sa jeunesse.

Il se lance en politique en 1973 avec l'équipe du maire Lucien Paiement. En 1984, il se joint au PRO des Lavallois, fondé quatre ans plus tôt par Claude-Ulysse Lefebvre. Il devient président du comité exécutif. Quand le maire Lefebvre tombe malade, en 1988, c'est Gilles Vaillancourt qui le remplace.

Controverses dès le départ

À peine 24h après avoir été élu maire en 1989, Gilles Vaillancourt a dû faire ce qui deviendra une habitude pour les 23 années suivantes: s'en prendre aux «mauvaises langues» qui associent Laval et malversations.

«Jamais cependant on n'a présenté de preuves; ceux qui parlent de choses bizarres qui se passeraient à Laval n'y sont jamais venus ou n'ont fait que passer il y a très longtemps», a-t-il déclaré au journaliste de La Presse Jean-Paul Charbonneau le 6 novembre 1989.

Sa première controverse, il l'a connue avant même d'être élu maire. Revenant sur des événements datant de 1983, un professeur de Laval, Réal Plamondon, dépose en octobre 1989 une requête en Cour supérieure pour faire déclarer le conseiller et candidat à la mairie Gilles Vaillancourt inhabile à siéger. Il lui reproche d'avoir été en conflit d'intérêts quand une entreprise dont il était administrateur et dirigeant, les Placements Roussette, a conclu une transaction avec la Ville de Laval.

Comme maire, Gilles Vaillancourt connaît ses premiers déboires lorsqu'on apprend que sa maison de l'île Paton a été construite dans une zone inondable réglementée par le ministère de l'Environnement. En 1992, il est accusé d'avoir favorisé l'agrandissement de la carrière d'une entreprise qui deviendra célèbre 20 ans plus tard: Simard-Beaudry.

Il connaît une période d'accalmie jusqu'en 2007, alors qu'on apprend que l'avocat de la famille du maire de Laval et un promoteur immobilier controversé ont réalisé un gain brut de 8,7 millions de dollars en deux ans, en achetant et en revendant un vaste terrain situé devant la future station de métro Laval-Montmorency.

En 2009, La Presse révèle une concentration troublante des contrats à Laval, où un petit groupe de huit entrepreneurs se partagent les trois quarts des contrats. En 2010, toujours dans La Presse, on apprend que la Ville de Laval a vendu deux immenses terres à des prix étonnamment bas à des sociétés de Giuseppe Borsellino, connaissance du maire Gilles Vaillancourt.

Argent comptant

Mais c'est réellement en novembre 2010 que le «roi de Laval» connaît sa première tempête. Coup sur coup, l'ex-ministre péquiste Serge Ménard et le député libéral de Vimont, Vincent Auclair, affirment que Gilles Vaillancourt leur a proposé de l'argent comptant pour leurs campagnes électorales. Le maire de Laval est suspendu du conseil d'administration d'Hydro-Québec et se retire du comité des finances de l'Union des municipalités du Québec. Il reste cependant sourd aux demandes de démission et menace même de poursuivre MM. Ménard et Auclair.

En juillet 2011, Le Devoir révèle que le parti PRO des Lavallois a financé des activités partisanes - autocar pour aller à la cabane à sucre, bouquets de ballons - avec des fonds accordés pour la recherche et le secrétariat.

Enfin, en août dernier, dans un écho de la tempête de 2010, un ex-collecteur du Parti québécois, Claude Vallée, affirme avoir reçu 10 000$ en espèces de Gilles Vaillancourt.

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse