Nommée vendredi candidate libérale et éventuelle ministre de la Santé, Gertrude Bourdon était prête la semaine dernière à « marquer l'histoire » avec la Coalition avenir Québec.

La Presse a obtenu un échange de textos entre l'ex-patronne du Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) et le directeur de cabinet du chef caquiste François Legault, Martin Koskinen.

Le jeudi 16 août, M. Koskinen informe Gertrude Bourdon qu'il a « parlé à M. Legault » et qu'« il n'y aura pas de mou samedi », lors de leur tête-à-tête. Par « pas de mou », M. Koskinen entend que le chef caquiste, après bien des échanges, est prêt à lui garantir un poste de ministre de la Santé comme elle le veut ainsi qu'un financement stable et prévisible au ministère, et donc à sceller l'accord pour annoncer sa candidature.

« Je crois sincèrement que nous avons l'occasion de marquer l'histoire », ajoute-t-il. La réponse de Mme Bourdon est plutôt claire : « Je le crois aussi. »

Or, deux jours plus tard, elle lui fait faux bond en annonçant qu'elle ne portera pas les couleurs de la CAQ. Elle passe dans le camp du PLQ ensuite.

En conférence de presse vendredi aux côtés du premier ministre Philippe Couillard, la candidate libérale s'est contentée de dire qu'elle avait eu « plein d'échanges privés sur plein de choses » avec la CAQ. « C'est très simple : j'essayais de comprendre c'est quoi, la bibitte », a dit Mme Bourdon.

Puis, « quand on vient tout près de faire le saut » en politique, on se pose « la question sur les valeurs ». « Et la CAQ, ce n'est pas mes valeurs, et elle a un mauvais programme, c'est tout. » En bout de course, « il y avait un seul parti qui répondait à mes valeurs et avec qui je voulais aller », le Parti libéral, a-t-elle soutenu.

Or la CAQ soutient de son côté que le 31 juillet, elle avait fixé des conditions pour se porter candidate sous la bannière caquiste et qu'elle a rencontré M. Legault le 6 août pour en discuter. Il y a eu d'autres échanges par la suite jusqu'à ce que les deux parties fixent le tête-à-tête du 18 août.

« J'AI ÉTÉ SOLLICITÉE »

Questionnée pour savoir si elle avait bel et bien demandé une hausse de 8 % du budget de la Santé, Mme Bourdon a répondu en conférence de presse que des discussions privées devaient le demeurer. Elle a ajouté plus tard : « Je n'étais pas en négociation, j'étais en échange et en discussion » avec la CAQ. Elle a nié avoir dit ce printemps à M. Koskinen qu'elle ne voulait pas faire le saut au Parti libéral.

L'ex-PDG du CHUQ confirme avoir été « sollicitée constamment par des élus », mais elle rejette l'étiquette d'opportuniste. « Je vais vous donner une petite image : moi, j'aime magasiner. Quand je magasine, je me rends au magasin. Quand le magasin vient cogner à ma porte, j'appelle ça être sollicitée. Et moi, j'ai été sollicitée », a dit la candidate dans Jean-Lesage, une circonscription de Québec détenue par le PLQ et convoitée par la CAQ.

Le Parti québécois l'a courtisée lui aussi en début d'année, mais il n'y a pas eu beaucoup de rencontres, selon elle. « Ce n'est pas mes valeurs », a-t-elle dit. 

« Je suis fédéraliste et j'ai voté Non aux deux référendums. » 

- Gertrude Bourdon

Elle nie « absolument » avoir dit en privé que son parti était le PQ, comme l'affirme Agnès Maltais.

« Déchirer » l'entente de rémunération avec les médecins n'était pas une option pour elle. « Je n'aime pas ça, la chicane », a-t-elle dit. Elle s'est d'ailleurs présentée comme une partisane de la réforme Barrette. « Les quatre dernières années et demie ont eu des effets positifs sur les patients », a-t-elle soutenu. Elle compte « travailler dans la continuité » si elle prend les rênes du plus gros ministère du gouvernement.

PRESSENTIE À LA SANTÉ

Philippe Couillard a confirmé que Mme Bourdon serait ministre de la Santé si les libéraux sont reportés au pouvoir. Il n'avait jamais assuré publiquement à un candidat un poste au Conseil des ministres auparavant.

Après des médecins à la tête de la Santé au cours des 15 dernières années, il est temps de « passer à une autre époque », selon Philippe Couillard, qui a vanté les compétences de Mme Bourdon, infirmière de formation.

Il est « naturel », d'après lui, qu'elle ait suscité l'intérêt de plusieurs partis. Il ne faut pas lui reprocher d'« avoir voulu connaître les intentions » des partis en matière de santé. « Quand vient le temps d'une élection, on analyse, on compare et on choisit. Elle a analysé, elle a comparé, elle a choisi le Parti libéral du Québec », a-t-il dit.

BARRETTE AU TRÉSOR ?

Gaétan Barrette cède sa place et obtient en retour ce qu'il convoite depuis un bon moment déjà. Si les libéraux sont réélus, il deviendrait président du Conseil du trésor, celui qui tient les cordons de la bourse et négocie avec les employés de l'État et les médecins.

Il se dit heureux de « passer le témoin » à Gertrude Bourdon, à qui il a fait une cour assidue dans les derniers mois pour l'inciter à se présenter pour le PLQ. Selon lui, elle a « une grande compétence » et la capacité de « prendre des décisions tranchées à la bonne place ».

« Le Trésor, c'est un lieu d'arbitrage, et je pense que vous m'avez écouté suffisamment longtemps pour avoir constaté que des arbitrages, j'en ai fait. »

- Gaétan Barrette

Le Trésor est aussi « un lieu de négociation, et j'en ai fait des deux côtés de la table ».

Philippe Couillard est prêt à lui confier la négociation avec les employés de l'État et les médecins, alors qu'il lui avait retiré le dossier des pourparlers sur la rémunération avec les fédérations médicales afin d'améliorer le climat à la table. « C'était une situation très ponctuelle », a-t-il répliqué, ajoutant que M. Barrette « a plus de tact et de sensibilité » qu'on ne le croit.

Pour Pierre Arcand, actuel titulaire du Trésor, « ce n'est pas une démotion », et il jouerait toujours un rôle important. M. Couillard a précisé qu'aucune autre annonce ne sera faite au cours de la campagne au sujet de la composition d'un prochain Conseil des ministres libéral.