Le directeur artistique du Théâtre Outremont nous donne rendez-vous dans son bistro préféré, le Café Souvenir, avenue Bernard. À l'angle de l'avenue Champagneur, on tourne un film. Le réalisateur est Wim Wenders.

On est à Outremont, tout de même.

Le plus petit des 19 arrondissements de Montréal, avec moins de 4 km2. Et un des moins peuplés, avec ses 24 000 habitants, dont bon nombre figurent dans le bottin de l'Union des artistes.

Au conseil d'administration du Théâtre Outremont, on trouve des icônes comme Mouffe, Gilbert Sicotte et, jusqu'à tout récemment, Dominic Champagne. Et le directeur artistique du célèbre théâtre est un comédien tout aussi célèbre (enfin presque), Raymond Cloutier.

Embauché il y a un an et demi, l'acteur, écrivain et enseignant de 69 ans a retrouvé « un climat très familier » à Outremont. Sa mission, c'est de remettre sur pied le vieux théâtre construit en 1928, fermé à la fin des années 80 puis rénové à grands frais 10 ans plus tard.

Son objectif : en refaire le coeur d'Outremont.

Une tâche colossale

« Il faut pour cela que le théâtre fonctionne fort, qu'il y ait beaucoup d'activités, des affiches continues. Il faut créer une habitude. Quand on vient dans le coin, il y a beaucoup de choses. Les restaurants sont bons, c'est plein, ici, le soir. C'est une forme de partage d'énergie urbaine. On devient un agent fédérateur. »

La tâche est colossale, reconnaît M. Cloutier. Par un savoureux paradoxe, la clientèle naturelle du théâtre, les résidants des alentours, est trop friande de culture. « C'est une des qualités de la salle : il y a une vraie vie alentour. Autour, à pied, vivent au moins 100 000 personnes. Mais ce sont peut-être les plus grands consommateurs de culture du monde. Ils vont au théâtre, à l'opéra, aux concerts, ils achètent des livres, lisent Le Devoir. Ils sont abonnés partout. »

Les Outremontais aiment leur Théâtre Outremont, « ils trouvent ça beau, ils ne voudraient pas que ça devienne une pharmacie ou des condos »... « Mais ils ne viennent pas ! »

Pendant quelques secondes, l'enthousiasme du comédien laisse place à la déception. « Cet hiver, ça passe ou ça casse. »

Invasion d'enfants

Le directeur artistique et son équipe ont pourtant déjà remporté une bonne partie de leur pari, estime le journaliste de l'Express d'Outremont Michel Joanny-Furtin. « Le quartier a grandement évolué, notamment grâce au Théâtre Outremont. Cette institution, c'est un peu comme la tour Eiffel de la culture ici, c'est devenu un phare très important. »

Autre signe indéniable de vitalité : la présence grandissante d'enfants. Dans cet arrondissement réputé pour l'omniprésence de ses espaces verts, avec ses 26 parcs, aire canine et places publiques, « on voit qu'il y a de plus en plus de jeunes familles depuis cinq ou sept ans », note Luc-Bernard Brutus, président du Club de soccer Mont-Royal Outremont.

Son association, mine de rien, compte plus de 700 joueurs et 47 équipes de compétition. Les statistiques du dernier recensement lui donnent raison : 21 % de la population de l'arrondissement a moins de 14 ans. À l'échelle montréalaise, ce taux est de 15 %.

« Ce sont de jeunes familles de professionnels, des anciens qui retournent à Outremont, dit M. Brutus. Ils viennent chercher la tranquillité tout en étant près du centre-ville, et la sécurité pour les jeunes. »

Culture et douceur de vivre

Cet « esprit de village dans la ville », c'est que ce qui fait tout le charme d'Outremont, estime Liette Chartrand, présidente du club de l'âge d'or Les Ultramontais. À l'autre bout de la pyramide des âges, elle constate un afflux de nouveaux retraités, essentiellement des « baby-boomers plus sportifs ».

Elle précise d'ailleurs que son organisme veut se débarrasser de l'appellation « âge d'or » pour celle, plus positive, de « club de retraités dynamiques ». «Ça fait du sport, du vélo, ça reste jeune longtemps. »

Ce qui distingue l'arrondissement, selon elle : « La culture et une douceur de vivre. » Si elle reconnaît que le revenu moyen de l'Outremontais est nettement supérieur à la moyenne montréalaise - 65 108 $ contre 30 132 $ -, elle estime que cette richesse n'est pas ostentatoire.

De « ma chère » à casher

La sociologue de formation y va d'un portrait bien personnel. « À Outremont, on ne se prend pas pour des artistes et on n'y habite pas parce que ça fait chic. Le Plateau, c'est une autre culture. Ce sont plus des artistes ou des gens qui veulent vivre comme des artistes. Il y a un certain snobisme de leur part. Dans Rosemont, les gens sont simples, mais sont tout aussi intellectuels. »

Comme aiment à le rappeler tous ceux que La Presse a interviewés, Outremont n'est pas un bloc monolithique. La même expression revient sans cesse : « Vous avez Outremont ma chère, Outremont pas cher et Outremont casher », résume Raymond Cloutier.

Impossible d'évoquer cette communauté sans parler de sa composante importante, les juifs hassidiques. Ils seraient près de 3000, selon le dernier recensement, et ne forment pas, eux non plus, un bloc monolithique, précise le comédien. « Ils ont le visage de leur synagogue. Des rabbins sont plus ouverts, d'autres plus sévères. Ils sont en partie dans la modernité, ils ont des cellulaires, des VUS. C'est une personnalité d'Outremont qui n'est pas banale. »

Malgré quelques étincelles médiatisées, la cohabitation est généralement paisible, assure Michel Joanny-Furtin. « Il y a des moments où ça coince, mais ça va bien la plupart du temps, dit le journaliste. Tout le débat, c'est de définir ce qui est un passe-droit et ce qui est un accommodement. »

Raymond Cloutier, quant à lui, aimerait bien attirer cette clientèle atypique dans son théâtre. Encore la mission fédératrice que l'organisme s'est donnée. « Il y a des problèmes à régler, comme la division homme-femme. On va peut-être trouver des affaires, des événements seulement pour eux. »

Il rappelle que le Théâtre Outremont a réussi à attirer une autre clientèle qu'on pourrait qualifier d'inattendue, certaines communautés culturelles des environs qui profitent d'un prix de location imbattable.

« Souvent, on reçoit de grandes vedettes de Grèce, d'Italie. La salle est pleine, un ou deux soirs, personne ne le sait, mais les billets sont tous vendus. Ils viennent parce que c'est un lieu qui ressemble à ces grands théâtres européens. C'est une des fonctions disons, "intégratrices" que je tiens à conserver. »

Outremont

Taux de participation en 2009 : 54,9 % (ensemble de Montréal : 39,4 %)

Mairesse élue : Marie Cinq-Mars (45,9 % des voix)

Enjeux en 2013

- Élue sous la bannière d'Union Montréal, Marie Cinq-Mars se présente en 2013 avec une nouvelle équipe locale, « Conservons Outremont ». Loin des grands débats qui touchent toute la métropole, cette équipe s'oppose à la fusion d'Outremont avec tout autre arrondissement et souhaite « reprendre le contrôle ».

- Dans une reprise des élections de 2009, Mme Cinq-Mars lutte contre deux de ses adversaires de l'époque, Paul-André Tétrault et Étienne Coutu. Ils avaient respectivement recueilli 30 % et 24 % des voix.

- Un des quatre districts électoraux, celui de Claude-Ryan, est le théâtre d'un affrontement insolite. Pierre Lacerte, candidat indépendant bien connu pour ses différends avec les juifs hassidiques, fait justement face à la première candidate issue de cette communauté, Mindy Pollack, de Projet Montréal.