Si certains sont heureux de l’instauration du programme Culture et citoyenneté québécoise, pour d’autres, la réforme du cours d’Éthique et culture religieuse (ECR) a l’effet d’une gifle. L’opacité du processus de conception du programme est montrée du doigt, et des enseignants estiment que les changements proposés par le ministre de l’Éducation n’en sont pas vraiment.

« Des orientations floues »

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Line Dubé, présidente de l’Association québécoise en éthique et culture religieuse

« Il y a énormément de choses qui ont été présentées comme étant nouvelles, et c’est ce qu’on fait depuis des années en ECR dans le programme actuel », lance Line Dubé, présidente de l’Association québécoise en éthique et culture religieuse (AQECR). Plusieurs éléments du nouveau cours restent aussi à préciser, estime Mme Dubé. « Les orientations demeurent encore floues pour les pédagogues », dit-elle. « Axe, compétence, savoir, ça semble interchangeable dans la bouche du ministre. Sur le plancher des vaches, c’est autrement », ajoute la présidente de l’AQECR.

Éviter le danger de l’endoctrinement

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Normand Baillargeon, essayiste, auteur et ancien professeur en sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Montréal

Normand Baillargeon, essayiste, auteur et ancien professeur en sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), accueille positivement le nouveau programme présenté dimanche. « J’ai été critique du cours d’ECR. Je n’aimais pas moi non plus la réduction de l’identité à la religion, l’absence de perspective critique sur la religion », affirme-t-il. « Dans ce qui semble s’annoncer, on veut voir les cultures et les religions comme une composante possible des cultures ou des individus », a-t-il ajouté, disant avoir une position nuancée sur la question. Pour l’auteur, il est primordial de ne pas tomber dans « le danger d’endoctrinement sur le plan intellectuel et le danger de propagande sur le plan politique » en enseignant ce nouveau cours.

Le dilemme de la laïcité

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Michel Seymour, essayiste et professeur de philosophie à la retraite de l’Université de Montréal

Michel Seymour, essayiste et professeur de philosophie à la retraite de l’Université de Montréal, croit qu’il est « symptomatique » de remplacer le cours d’ECR. Pour l’homme, enseigner les différentes religions relève du devoir de laïcité de la province. « La disparition du cours d’ECR, ce n’est pour moi pas un indice que l’État est vraiment laïque. C’est un indice que la laïcité qui est pratiquée en est une qui vise à expulser la religion de l’espace public, pour la confiner dans l’espace privé », explique-t-il. La laïcité « doit inclure non seulement l’indépendance entre l’Église et l’État, mais [aussi] la neutralité de l’État. Pour que l’État soit vraiment neutre, il doit respecter les différentes postures à l’égard de la religion », renchérit-il.

« Une réforme de nature politique »

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Sylvain Mallette, président de la Fédération autonome de l’enseignement

Le processus de réforme du cours d’ECR est critiqué par plusieurs acteurs du milieu de l’éducation. « Le ministre annonce une réforme qui n’est pas de nature pédagogique, c’est une réforme de nature politique », affirme le président de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), Sylvain Mallette. « Le ministre n’est pas capable de nous expliquer les raisons pédagogiques de son choix, parce qu’il n’a pas de bilan. Il a surtout pris soin d’écarter les profs », ajoute-t-il. Il raconte que les professeurs n’ont pas été mis au courant de ce qui ne fonctionnait pas dans le programme d’ECR en tant que tel, à l’exception de certains ouvrages qui véhiculaient des préjugés. M. Mallette a aussi dénoncé l’absence de professeurs lors de la conférence de presse de Jean-François Roberge. « Il y avait des vedettes […], mais ce n’est pas eux qui vont se retrouver en classe pour enseigner », déplore-t-il.

Une affirmation nationale poussée trop loin

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Le philosophe Georges Leroux

« On a affaire à un processus qui est complètement opaque, presque secret », évoque le philosophe Georges Leroux. L’homme a siégé à la commission Bouchard-Taylor (soit la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles) et a recommandé la création du cours d’ECR. Il dénonce aujourd’hui que les 200 mémoires reçus par le ministère de l’Éducation n’aient pas été rendus publics. « À Bouchard-Taylor, quand un mémoire arrivait, il était mis en ligne », raconte-t-il. M. Leroux croit également que la consultation en ligne était biaisée, étant composée de questions sur lesquelles tout le monde est d’accord. « À ma connaissance, c’est la première fois dans l’histoire du Québec qu’un gouvernement va aussi loin dans l’idée de la promotion nationale », renchérit-il.

« Une gifle au visage »

Mélanie Dubois, chargée de cours à la formation des maîtres en ECR à l’UQAM, estime que la conférence de presse du ministre de l’Éducation représentait une « gifle au visage des enseignants et des spécialistes en éducation ». Elle croit que les universitaires qui étudient actuellement pour être enseignants d’ECR sont « les grands oubliés » du nouveau programme. Les jeunes enseignants qui entrent sur le marché du travail devront « s’approprier c’est quoi être un enseignant et s’approprier un nouveau programme », déplore Mme Dubois en disant que l’insertion professionnelle des enseignants est déjà « très longue ».