(Montréal) Ils sont dans les classes des écoles primaires et secondaires depuis parfois plusieurs années, mais doivent retourner étudier à l’université s’ils veulent obtenir leur brevet d’enseignement. Certains enseignants non qualifiés estiment toutefois qu’on leur met des bâtons dans les roues pour y parvenir et déplorent que leur expérience en classe ne soit pas reconnue davantage.

Noémie (prénom fictif) a travaillé dans le monde des médias pendant des années, mais a aussi enseigné à l’international. Elle enseigne cette année plusieurs matières dans une école secondaire, tout en étant aussi inscrite à temps partiel au baccalauréat en éducation préscolaire et enseignement primaire de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« On dirait que l’université fait tout pour nous décourager », dit la femme dans la mi-trentaine, qui préfère ne pas être nommée parce que ses élèves et leurs parents ne savent pas qu’elle n’est pas qualifiée.

Elle cite l’exemple des stages, qui doivent obligatoirement être faits dans une autre école que la sienne.

On nous dit : “Vous ne pouvez pas les faire en milieu de travail.” Je dois quitter mon groupe, laisser des jeunes avec un trouble du spectre de l’autisme, pour aller dans une classe de primaire sans salaire. On aide qui ?

Noémie (prénom fictif), enseignante non qualifiée au secondaire

Pour sa part, Isabelle travaille depuis 10 ans avec des élèves ayant de graves troubles de comportement. Comme elle craint qu’à terme, on ne renouvelle pas la tolérance d’engagement qui lui permet de travailler sans brevet d’enseignement, elle s’est inscrite au baccalauréat à l’UQAM cet automne, mais déplore qu’on ne reconnaisse pas son expérience sur le terrain.

La femme dans la cinquantaine insiste : elle ne veut pas qu’on lui « donne » son diplôme de baccalauréat, seulement que les années passées à enseigner et ses cours préalablement faits en éducation à l’université soient pris en compte.

Or, elle a « l’impression qu’on met tout le monde dans le même panier ». Certains de ses collègues à l’université n’ont jamais fait de suppléance dans une école, d’autres ont travaillé en service de garde. En somme, dit-elle, les expériences varient grandement.

Certains de ses collègues ne savent pas qu’elle n’est pas légalement qualifiée, raison pour laquelle elle a aussi demandé à La Presse de taire son identité. À l’école où elle enseigne, Isabelle fait du mentorat auprès des nouveaux profs qui ont leur brevet en main. « En toute modestie, je suis une référence dans l’école. C’est une situation un peu absurde », dit-elle.

Des stages encadrés, dit l’UQAM

Le vice-doyen aux études de la faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM, Henri Boudreault, est bien au fait des doléances d’enseignants avec de l’expérience qui aspirent au brevet, mais dit qu’il ne voit pas, « pour l’instant », comment la formation y menant pourrait être facilitée pour les personnes comme Isabelle.

« Ça voudrait dire que ça fait des années qu’on fait perdre leur temps à des gens qui suivent la formation ? Il n’y a pas longtemps, le baccalauréat [en enseignement] était de trois ans, le Ministère a mis ça à 120 crédits, ce n’est pas pour rien. Il ne faut pas idéaliser la formation sur le tas, on n’est pas en train d’apprendre un métier manuel », dit le vice-doyen.

Ce n’est pas parce qu’on survit à des années de pratique que ça fait de nous un bon enseignant.

Henri Boudreault, vice-doyen aux études de la faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM

Si le fait d’être embauché dans une école ne peut compter à titre de stage, c’est qu’il est « problématique » d’utiliser cette expérience, juge le vice-recteur. « Il faut qu’ils soient encadrés. On a des étudiants qui prennent des contrats et qui veulent qu’on reconnaisse des équivalents de stage. Ils ne sont pas supervisés, on ne connaît pas l’expérience qu’ils ont eue », dit M. Boudreault.

Il dit comprendre la déception des étudiants qui ont une formation autre, mais qu’à terme, ce sont les directions de programme qui décident des équivalences entre les cours. « Ce sont eux qui connaissent les contenus, et c’est sur la base des preuves qu’on nous dépose », explique le vice-doyen.

C’est un travail de plusieurs dizaines d’heures, rétorque Isabelle, qui s’y est attelée tout en travaillant à temps plein dans son école. « Si on me dit que je dois faire 120 crédits pour obtenir mon brevet d’enseignement, je pleure ma vie, mais je n’aurai pas d’autre choix que de l’accepter. C’est un milieu que j’adore, je sens que je fais une différence dans la vie des enfants », dit-elle.

De plus en plus d’enseignants non qualifiés

En 2018-2019, il y avait dans les écoles publiques de la province 1765 enseignants à qui l’on avait donné des tolérances d’engagement, soit près du double de ce qui a été accordé en 2016-2017. Combien y en a-t-il eu l’an dernier ? « Les données pour 2019-2020 ne sont pas encore disponibles », nous a-t-on répondu au ministère de l’Éducation.

Total des tolérances d’engagement délivrées au public, selon les études pertinentes du candidat (2018-2019)

Diplôme d’études secondaires : 25

Diplôme d’études professionnelles : 228

Diplôme d’études collégiales : 169

Baccalauréat : 1038

Maîtrise : 26

Autres : 279

* Dossiers dans lesquels une tolérance est accordée sur la base des études les plus pertinentes à l’emploi, mais qui ne sont pas nécessairement les plus hautes études réalisées par le candidat. Par exemple, une personne qui détient un certificat en littérature et un baccalauréat en administration des affaires pourrait recevoir une tolérance d’engagement en fonction de son certificat.

Source : ministère de l’Éducation