Ce n'est pas la première fois, ni certainement la dernière, qu'on propose de rémunérer les élèves pour leurs bonnes notes, un bon bulletin, ou carrément un diplôme. Mais la proposition ne réglera malheureusement pas la question du décrochage. Gare aux effets pervers, préviennent même les experts.

L'IDÉE

L'homme d'affaires Mitch Garber suggère de verser 1000 $ aux élèves du secondaire, inscrits dans le réseau public, pour l'obtention de leur diplôme. Dans une entrevue accordée à La Presse, il a rappelé que le décrochage coûte cher au Québec (1,9 milliard par année) et proposé cette « approche positive » : « une compensation pour l'effort et les résultats obtenus ». 

L'idée, rejetée par le ministre de l'Éducation Sébastien Proulx hier, est loin d'être nouvelle. L'économiste Roland Fryer, de l'Université Harvard, l'a même testée pendant 10 ans, dans des écoles publiques à Houston, New York et Chicago. Tous les scénarios ont été essayés : le chercheur a payé les parents pour les pousser à s'impliquer, les élèves pour les inciter à lire, même les enseignants pour les motiver à mieux faire réussir leurs élèves. Il a distribué les bourses. Il a versé des millions de dollars en incitatifs de tous genres. Résultat ? « L'impact des incitatifs financiers sur la réussite scolaire est nul dans chaque ville », cite la revue The Atlantic, dans un article sur la réussite scolaire publié l'an dernier.

IMPACT « INSUFFISANT »

L'expert en adaptation scolaire Égide Royer croit aussi que la mesure proposée par Mitch Garber aurait un impact « nettement insuffisant ». Peut-être qu'elle motiverait les quelque 1000 jeunes qui décrochent chaque année en cinquième secondaire, alors qu'il ne leur manque qu'un cours pour obtenir leur diplôme, concède le chercheur de l'Université Laval. 

« Mais pour le vrai décrocheur, en secondaire 2, avec un niveau de lecture de 4année, qui vient de couler un cours de maths, pensez-vous que ça aura un impact ? C'est beaucoup trop loin ! » À cet effet, il souligne que si l'on s'inspire des 10 États américains et provinces canadiennes qui ont les meilleurs résultats en termes de taux de diplomation (plus de 85 %) « l'idée de payer les étudiants ne fait pas partie des ingrédients ».

INVESTIR AILLEURS

Quoi faire ? « L'ingrédient le plus puissant, poursuit le chercheur, c'est l'intervention précoce ! » Il cite ici l'exemple de l'Ontario, dont les taux de diplomation sont passés de 68 à 85 % en 10 ans, faisant aujourd'hui de la province un modèle en termes de réussite scolaire. Comment ? Là-bas, on a mis sur pied des programmes de maternelles 4 ans (avec, dans chaque classe, à la fois un éducateur et un enseignant), on a misé sur la prélecture en maternelle, et on offre des programmes d'accompagnement dans l'évaluation des apprentissages, fait-il valoir. Au secondaire, un chemin particulier est offert aux élèves en difficulté. « Cela amène des jeunes qui arrivent au secondaire avec des habiletés pour réussir. »

D'AUTRES INITIATIVES

Au Québec, Égide Royer cite des « programmes exemplaires » qui devraient en inspirer d'autres. À Saint-Jérôme, on a pris une cohorte de maternelles 4 et 5 ans et mis l'accent sur l'apprentissage de la lecture, cite-t-il. À Sherbrooke, les élèves du secondaire en difficulté sont littéralement pris en charge, avec différents programmes de mentorat et d'accompagnement. Résultat : les taux de persévérance scolaire ont monté en flèche. Toujours selon le chercheur, le Québec devrait aussi s'inspirer de l'Ontario, du Nouveau-Brunswick, mais aussi de plusieurs États américains et instaurer l'école obligatoire jusqu'à 18 ans. « La pression ne doit pas juste être sur le jeune, mais aussi sur le réseau scolaire qui envoie trop rapidement les jeunes en difficulté à l'éducation des adultes... »

ET LE PARENT ?

Le parent, lui, devrait-il récompenser une bonne note à un examen ou un bon bulletin par un beau chèque ? Ici encore, les avis sont unanimes. Une journaliste du Financial Post a déjà interviewé les plus grands experts sur la question : un psychologue de la revue Psychology Today, un conseiller financier, et plusieurs auteurs d'ouvrages sur le sujet. « Il y a consensus auprès des chercheurs pour dire que cela vient saper la motivation intrinsèque des enfants », résume un chroniqueur du New York Times interrogé. Tous s'entendent : la récompense, ce doit être la bonne note, et non une motivation externe ! Dans un article sur la question, l'experte en éducation positive Amy McGready conseille d'ailleurs aux parents d'éviter de se concentrer sur le résultat final (la note), mais plutôt de célébrer l'effort de l'enfant. En un mot, conclut-elle, au lieu de « récompenser » la bonne note, mieux vaut « encourager » l'effort. Un conseil qui vaut particulièrement pour les élèves en difficulté, qui malgré tous les efforts du monde, n'auront peut-être jamais la bonne note voulue.