Un jugement vient de rappeler aux associations étudiantes qu'elles ne sont pas à l'abri de conséquences pour leurs actions lors du «printemps érable»: celle du cégep de Saint-Laurent, à Montréal, vient d'être condamnée à payer 6300 $ à un ex-étudiant lésé.

Celui-ci, Antoine Michaudville, étudiait au cégep en technique d'assainissement des eaux en 2012 lorsque les étudiants au Québec ont massivement déclaré une grève générale pour protester contre la hausse annoncée des droits de scolarité des universités.

En raison de ces perturbations, sa session s'est terminée en octobre plutôt qu'en mai 2012.

Il a donc réclamé 15 000 $ au cégep de Saint-Laurent et à l'Association étudiante du cégep de Saint-Laurent. Il a soutenu n'avoir pu entamer sa carrière de technicien à l'été 2012, tel qu'il l'avait prévu, puisqu'il n'avait pas encore reçu son diplôme.

Une juge de la Cour du Québec siégeant à la Division des petites créances, Magali Lewis, lui a donné raison en partie et lui a accordé 6305,50 $, plus les intérêts.

Pluie de poursuites?

Peut-on s'attendre à ce que de nombreux étudiants poursuivent à leur tour leur association étudiante? Peu probable, selon le professeur Finn Makela, de la faculté de droit de l'Université de Sherbrooke.

D'abord, les réclamations pour le conflit étudiant de 2012 risquent fort d'être prescrites. Une action de ce type doit être intentée au plus tard trois ans après la faute commise, sauf exception. Cependant, il y a peut-être des actions qui ont été intentées dans les délais requis pour lesquelles un jugement n'a pas encore été rendu.

«Mais je doute fortement qu'il y ait une avalanche de recours, ni pour 2012 ni pour le mouvement de 2015», a indiqué le professeur qui a suivi de près les nombreuses péripéties juridiques du «printemps érable».

Et puis, selon M. Makela, ce jugement de la Division des petites créances de la Cour du Québec risque fort ne pas faire jurisprudence. D'abord parce qu'il a été rendu par un tribunal de niveau inférieur, et aussi parce que la juge n'a pas cité des arrêts importants sur la question de l'existence du «droit de grève» des étudiants, notamment ceux de la Cour d'appel et de la Cour suprême du Canada.

Le jugement pourra néanmoins inspirer des étudiants à entamer de telles poursuites s'ils subissent des dommages lors d'un futur conflit, ou encore s'ils estiment avoir été lésés lors de celui de 2015.

«Est-ce que certains étudiants qui se sentent lésés vont s'essayer? Très certainement», affirme M. Makela.

Il souligne par ailleurs que certains aspects juridiques de ce type de conflit restent encore flous: le fameux «droit de grève» des étudiants est toujours en zone grise, tout comme le droit des étudiants d'assister à leurs cours. Un tribunal supérieur se penchera éventuellement sur ces questions lors d'une audience sur le fond d'un litige - et non pas uniquement dans le cadre d'une injonction comme ce fut le cas jusqu'à maintenant.

Un autre étudiant a réussi à obtenir 1200 $ en dommages dans un cas similaire, rappelle M. Makela. La somme correspond à ses droits de scolarité pour sa session qu'il a annulée à l'Université Laval.

Faute et dommages

Et puis, ces étudiants devront prouver qu'ils ont subi de réels dommages, comme Antoine Michaudville l'a fait.

Dans ce cas, il a démontré qu'à l'été 2012, il avait été payé au taux horaire de 16,60 $ comme étudiant, plutôt que les 25,54 $ de l'heure qu'il aurait obtenus s'il avait travaillé comme opérateur. À l'automne, il n'a pu travailler autant d'heures qu'il l'aurait voulu puisqu'il devait assister à ses cours.

M. Michaudville reprochait au cégep de ne pas avoir dispensé les cours auxquels il était inscrit et à l'association étudiante de n'avoir pas permis que les cours lui soient dispensés. L'étudiant avait même obtenu une injonction pour que ses cours soient offerts, et la démarche semble avoir grandement indisposé l'association étudiante, relève la juge Lewis, dans sa décision rendue à l'automne 2016, mais mise en ligne mardi.

Le cégep n'a pas été trouvé fautif par la juge, après avoir soutenu avoir tout fait pour dispenser les cours sans compromettre la sécurité des étudiants.

L'association étudiante avait de son côté plaidé le droit à la liberté d'expression et fait valoir qu'elle n'avait pas incité ses membres à la violence, ni revendiqué leurs actes.

La juge n'a pas retenu ses arguments.

«C'est l'association qui a refusé au cégep qu'il dispense ses cours à Michaudville. Emboîtant le mouvement de »grève« ou de boycottage, c'est aussi elle qui a appelé ses membres à joindre le mouvement et à manifester. Elle ne pouvait exercer son droit à la liberté d'expression au détriment du droit de Michaudville de recevoir les cours auxquels il était inscrit. En agissant comme elle l'a fait, elle a engagé sa responsabilité et doit assumer les dommages ainsi occasionnés à Michaudville.»