Des étudiantes en droit à l'Université de Montréal se sont senties « presque obligé[es] » de se déshabiller pendant les récentes initiations de la prestigieuse faculté, selon le journal des étudiants en droit, Le Pigeon dissident, qui décrit des événements hypersexualisés perpétuant « la culture du viol ».

Dans un témoignage et un texte collectif de la rédaction publiés cette semaine, on dénonce une ambiance qui encourage « plusieurs étudiants à accepter de poser ou de subir des comportements sexuels déplacés » et à entonner « des chansons dégradantes » qui transforment « la femme » en « vulgaire objet, facile et docile, utile et bonne uniquement à amuser des phallus ».

« À Laval, les filles avalent », « à Ottawa, y sucent même pas », ont chanté les étudiants, toujours selon le journal.

Toute l'initiation prend la forme d'un concours où « tu ne peux tout simplement pas en gagner [de points] s'il n'y a pas au moins trois ou quatre filles dans ta section [classe] qui se mettent en brassière pratiquement toute la semaine », relate une jeune femme anonyme dans les mêmes pages. « C'est tellement valorisé d'enlever son chandail et ses pantalons. » Les étudiantes qui gagnent les reconnaissances des « juges », « c'est celles qui étaient les moins habillées toute la semaine », ajoute-t-elle.

Ce type de comportement n'est pas une nouveauté à l'Association des étudiants en droit (AED). En janvier dernier, selon nos informations, le comité organisateur de l'événement officiel de rentrée à l'école a fait la promotion de celui-ci avec une photo où plusieurs d'entre eux étaient très légèrement vêtus. Elle a ensuite été retirée.

« Ce n'est pas écrit sur un bout de papier qu'il faut se mettre toute nue, c'est juste vraiment trop valorisé », dit-elle encore. « Et si tu veux le moindrement gagner, tu n'as pas le choix. »

L'association étudiante reconnaît « qu'il reste du travail à effectuer pour éliminer toute trace d'anciennes pratiques dégradantes et sexistes » et promet d'entamer une « réflexion » sur le sujet. La faculté ne commente pas le dossier, préférant s'en remettre à l'Université, qui assure qu'une analyse de la situation sera menée.

« Il y a déjà des démarches qui ont été entamées avec la directrice du bureau du harcèlement chez nous et avec la FAECUM », l'association qui regroupe tous les étudiants de l'Université de Montréal, a indiqué la porte-parole de l'Université Geneviève O'Meara.

L'incitation à se dévêtir ou à commettre des gestes dégradants « n'était pas dans les règles de l'activité édictées par l'association », a-t-elle ajouté. « Il n'y avait pas de mention que la nudité ou des jeunes femmes en soutien-gorge, ça méritait plus de points. »

Elle a aussi précisé que le règlement de l'Université qui condamne ce type de pratique s'applique à tout événement « universitaire », qu'il soit sur le campus ou à l'extérieur de celui-ci : une partie des initiations de droit se sont déroulées dans un lieu loué à Saint-Pie, en Montérégie.

« LES COUPABLES, C'EST VOUS, C'EST NOUS »

Les initiations des nouveaux étudiants en droit de l'UdeM se déroulaient alors qu'à l'Université du Québec en Outaouais, une affiche associant un nombre de points à des actes comme « prendre une photo de sein » ou boire de l'alcool « dans une craque de seins » faisait les manchettes.

« Nous avons été nombreux à rire dans notre barbe en voyant » ce tollé, écrit toute l'équipe du journal étudiant Le Pigeon dissident dans sa dernière édition. « S'ils savaient seulement ce que nous faisons ici. »

Dans leur texte, intitulé « La bière est amère », les rédacteurs refusent toutefois de rejeter la responsabilité sur leur association étudiante.

Joint au téléphone, le rédacteur en chef du Pigeon dissident s'est dit satisfait du débat lancé au sein de la faculté. « La discussion est bien entamée », a indiqué Maxime Leboeuf, soulignant notamment la tenue d'une activité du comité « Femmes et droit » de l'association étudiante sur la question, lundi prochain.

La description de l'événement sur les réseaux sociaux mentionne que le slogan de sensibilisation au consentement sexuel « Sans oui, c'est non » a été détourné par des étudiants et transformé en « Sans oui, c'est mieux ». « C'est tout simplement inacceptable », déclare le comité.

Le témoignage de l'étudiante qui disait se sentir « presque obligée » de se dénuder traduit « une opinion qui existe », a continué M. Leboeuf. Le journal publie cependant le témoignage d'une autre étudiante qui admet « qu'on se mettait souvent en chest ou qu'on m'a demandé de frencher un gars pour impressionner les juges », mais qui dit n'avoir pas trouvé les initiations « déplacées ». « On se sentait soutenus, encouragés et inclus », a-t-elle affirmé. « Personnellement, je ne me suis jamais sentie "forcée" de participer à des activités si je n'avais pas envie. »

UN PROCESSUS DE CONSULTATION ANONYME

Dans son communiqué de réponse, l'Association des étudiants en droit de l'UdeM qualifie le débat soulevé par le journal étudiant de « fondamental et nécessaire ».

« Nous nous sommes assurés que les activités d'initiation soient conçues et mises en place de manière à susciter la camaraderie », promet le groupe, en disant prendre « l'entière responsabilité » de l'organisation des initiations. « Notre équipe s'engage à entamer un processus de consultation anonyme au cours des prochaines semaines », ajoute le communiqué.

L'AED n'a pas voulu accorder d'entrevue à La Presse. Elle a dirigé l'appel vers la Fédération des associations étudiantes de l'UdeM (FAECUM).

Andréanne St-Gelais, qui dirige l'organisation, a vanté l'offensive de sensibilisation mise de l'avant cette année sur le thème « Sans oui, c'est non ». « La campagne fonctionne bien, a-t-elle dit. Le changement de mentalité est en train de se faire. »