Québec aurait pu trouver des solutions 10 fois moins chères au lieu d'imposer au coût de 240 millions de dollars des tableaux blancs interactifs (TBI) dans toutes les écoles du Québec.

Ce plan du gouvernement libéral de Jean Charest, poursuivi par ses successeurs pendant cinq ans, n'était « aucunement une décision réfléchie », conclut une étude, dont le résumé a été obtenu par La Presse Canadienne.

L'étude, réalisée par un centre de recherche de l'Université de Montréal, a été effectuée auprès de 6000 élèves et 400 professeurs.

Elle révèle que les tableaux blancs interactifs comportent certains avantages, mais qu'ils ne sont pas mis en valeur. Les enseignants manquent de formation, les problèmes techniques sont nombreux et les élèves interagissent trop peu avec cet outil pédagogique.

En somme, selon cette vaste enquête du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE), l'achat de projecteurs électroniques à un coût bien moindre aurait été préférable pour la grande majorité des profs.

Ainsi, un projecteur numérique HD peut se détailler environ 600 $, tandis qu'un tableau interactif de trois pieds par quatre peut coûter entre 7000 $ et 8000 $.

Qui plus est, un tableau de ce format est mal adapté pour une classe régulière parce qu'il est trop petit pour être bien vu, alors qu'un projecteur numérique est un outil beaucoup plus flexible qui peut être ajusté en fonction de la taille de la classe.

« Arrêtez de nous faire croire que le tableau blanc interactif est la huitième merveille du monde », a dit le chercheur Thierry Karsenti, du CRIFPE, dans une récente entrevue.

Pratiquement tous les professionnels sondés ont déploré le manque de fiabilité de l'appareil. « Ce n'est pas vrai que c'est un outil stable : c'est compliqué, ça "plante" tout le temps, c'est la catastrophe, a-t-il illustré. Et quand on est prof et que l'outil principal "plante" tout le temps, on n'est pas intéressé à le prendre. »

Ainsi, les profs préfèrent l'utiliser simplement comme écran de projection, a-t-il relevé. Or, l'achat d'un simple projecteur aurait coûté bien moins cher et aurait permis d'éviter « les problèmes techniques qui n'en finissent plus ».

Les commentaires des élèves sondés étaient dévastateurs. « Le tableau blanc est plus petit que la télé dans mon salon », ont dit des jeunes à M. Karsenti, qui fait remarquer qu'on ne peut, au secondaire, demander aux élèves de s'asseoir en cercle autour du tableau blanc trop petit pour être bien vu.

Ou encore, d'autres élèves ont demandé : « Pourquoi on appelle ça interactif alors qu'il n'y que mon prof qui y touche? »

De fait, une minorité d'enseignants permet aux élèves d'exploiter les fonctions interactives, a souligné le chercheur.

L'enthousiasme constaté chez les élèves à l'égard du tableau blanc au début s'est estompé rapidement, en raison de sa taille et de son manque d'interactivité, a-t-il constaté. Dans son résumé, l'étude conclut que « l'imposition du TBI à tous les enseignants du Québec ne serait aucunement une décision réfléchie ».

« Je ne comprends pas pourquoi l'État, quand on investit autant d'argent, n'a pas vérifié si cela était utilisé comme cela devait l'être », a déploré M. Karsenti.

Le jugement est tout aussi lapidaire chez les syndicats d'enseignants. Ils regrettent de ne jamais avoir été consultés dans cette démarche et déplorent un investissement aussi massif dans une période de restrictions dans les écoles.

« Dans les écoles où on réduit les services aux élèves, le matériel scolaire, l'aide aux devoirs, les enseignants nous demandent : est-ce bien cela la priorité? » a déclaré Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l'enseignement, affiliée à la CSQ.

Selon elle, le moment n'était pas opportun pour dépenser ainsi 240 millions de dollars, sans compter que les enseignants n'ont pas reçu toute la formation requise pour cet outil technologique.

« On est allé de l'avant avec une mesure populaire, populiste, qui paraissait bien », a-t-elle lancé au cours d'un entretien téléphonique.

Rappelons que l'implantation des TBI avait été marquée par des controverses. Le premier ministre Jean Charest l'avait annoncée en grande pompe comme une de ses mesures surprises dans un discours inaugural en 2011.

Une enquête du quotidien La Presse avait révélé que la grande majorité des achats de tableaux avait été effectuée auprès d'un fournisseur, Smart Technologies, dont le lobbyiste était un ancien membre du cabinet de M. Charest.