«J'espère rester ici pour toujours.»

Native d'Irak, Rita Wraij a 10 ans et elle n'a plus envie de bouger. Jamais.

«Un matin, au réveil, ma mère nous a dit: «Aujourd'hui, on part en Syrie.»»

Sa famille s'est donc réfugiée en Syrie, où elle a aussitôt été rattrapée par une autre guerre. «Alors, on est parti au Liban, en attendant de pouvoir venir au Canada.»

Sur 17 élèves, la classe d'accueil de Rita, à l'école arménienne Alex Manoogian, dans l'arrondissement de Saint-Laurent, compte 6 réfugiés syriens et 5 petits Irakiens.

«La plus grosse communauté arménienne à l'extérieur de l'Arménie se trouve à Alep, où elle est touchée de plein fouet par la guerre», explique le directeur adjoint de l'école, Chahé Tanachian.

D'ici janvier, 60 familles de la minorité arménienne de Syrie, notamment d'Alep, sont attendues à Montréal.

L'école Alex Manoogian, qui accueille des enfants arméniens d'ici ou de la diaspora, ouvrira donc en janvier une autre classe d'accueil.

Arrivés de l'enfer

Les enfants à qui nous avons parlé sont unanimes: ici, au Québec, tout est parfait. Plus-que-parfait.

Il faut dire qu'ils arrivent tout droit de l'enfer.

«À Alep [en Syrie], il arrivait tout le temps quelque chose, raconte Galin Damirjian, âgée de 12 ans. Un jour, c'était une bombe à côté de la maison, un autre jour, une autre à côté d'où mon père travaille ou alors, quelqu'un que nous connaissions était tué. Une fois, la terre tremblait tellement, j'ai eu tellement peur que je me suis évanouie.»

«À Damas, il y avait beaucoup de bombardements et parfois, quand c'était près de la maison, ça faisait peur, dit Joseph Chakmakchyan, âgé de 12 ans. En Syrie, tu ne savais jamais de quoi serait fait le lendemain et tout était en ruine. Ici, c'est tellement plus joli, particulièrement sous la neige...»

Ils savaient bien, avant d'arriver ici, que la guerre et tout cela, ce n'était pas normal. Qu'ailleurs, on vivait tranquillement. Après tout, même en pleine horreur, ils étaient nombreux à communiquer par Skype avec des amis qui en étaient sortis.

Avant que tous ces enfants de la guerre n'arrivent dans sa classe, leur enseignante, Julie Caron, redoutait le pire. «Je me disais que j'allais avoir devant moi des petits écorchés de la vie alors.»

Il y a bien quelques petits angoissés, comme cette fillette qui suit son frère comme son ombre et qui a très souvent mal au ventre. Il y a bien quelques gamins à l'humour un peu noir ou qui ont un peu trop tendance à régler leurs comptes aux poings, entre eux. Mais en général, ces enfants sont comme les autres. Ils adorent la neige, ils ont hâte à la récréation et aiment bien rigoler.

Si les enseignants de l'école Alex Manoogian sont québécois, plusieurs membres du personnel sont d'origine arménienne. «Les enfants qui viennent d'arriver sont toujours capables de se faire comprendre, ce qui est sécurisant, aussi bien pour eux que pour leurs parents», dit le directeur adjoint, Chahé Tanachian.

«L'idée, c'est que chacun puisse se poser ici en douceur, que chacun puisse finalement respirer un peu», enchaîne Narod Odabasiyan, coordonnatrice aux services de soutien à la famille Hay Doun, un organisme communautaire arménien.

Inquiétude

La direction de l'école Alex Manoogian, qui est privée, est cependant inquiète.

Parce que même si son plan d'affaires, «c'est de perdre de l'argent, lance en riant le directeur adjoint Chahé Tanachian, il y a quand même des limites à ne pas compter!»

Il en coûte 8000$ pour un enfant dans une classe d'accueil (qui ne compte que 17 élèves) et Québec ne verse qu'une subvention de 3400$ par enfant.

«La différence, c'est essentiellement la communauté arménienne, très mobilisée, qui la comble, dit le directeur de l'école, Sébastien Stasse, mais avec le nombre croissant de familles attendues, il y a quand même des limites.»

Pour son école comme pour toute école publique qui accueille des réfugiés syriens, M. Stasse plaide «pour la création d'un fonds spécial consacré à ces enfants».

C'est que ces enfants ont besoin d'encadrement particulier. L'une des réfugiées syriennes de l'école Alex Manoogian a mis le pied à l'école pour la première fois à 8 ans. D'autres ont vu leur école fermer deux ou trois semaines, à répétition, en raison de bombardements.

Au début, l'école Alex Manoogian s'en était remis au modèle le plus répandu, soit celui de l'intégration des élèves dans des classes ordinaires, avec quelques heures par semaines de cours de francisation en parallèle. «Ça ne donnait pas de bons résultats, dit M. Stasse. Les élèves redoublaient, ils avaient 30% dans leurs bulletins, c'était démoralisant et ça risquait d'en faire des décrocheurs. Maintenant, de 8h30 à 16h, ils suivent un enseignement intensif en français avec une enseignante et une monitrice arménienne de langue. On arrive ainsi à les franciser sans leur faire prendre trop de retard dans leurs matières.»

Seulement, un tel encadrement coûte cher.

«Les ministres [des Relations internationales] Christine St-Pierre et le ministre Jean-Marc Fournier, qui est notre député, sont tous les deux passés et nous ont félicités pour notre travail, dit M. Stasse. Mais apparemment, on ne cadre dans aucun programme de subvention...»