Après les «places fantômes» dans les garderies, voilà les «élèves fantômes» dans les autobus. Québec verse aux commissions scolaires des subventions pour le transport d'élèves qui n'existent pas.

La Coalition avenir Québec (CAQ) soutient que «le nombre réel d'enfants transportés ne correspond pas du tout au nombre d'élèves qui sont facturés». «Des commissions scolaires facturent au gouvernement des élèves fantômes», affirme le député Jean-François Roberge. Des subventions ont même été reçues pour transporter les élèves d'une école privée qui avait fermé ses portes.

Le phénomène concernerait en particulier les commissions scolaires qui ont une entente avec les écoles privées pour prendre en charge le transport de leurs élèves. La subvention du gouvernement couvre une partie des coûts, et la commission scolaire exige des frais des écoles privées. Les parents contribuent également au financement.

Une lettre qui en dit long

La CAQ a obtenu une lettre que l'Association des écoles privées de l'Estrie a envoyée au ministre de l'Éducation, Yves Bolduc, le 6 octobre. Cette association représente six établissements qui ont une entente avec la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke.

Selon elle, la commission scolaire reçoit des subventions en fonction d'un nombre d'élèves inscrit dans «l'entente historique 2004-2005». Cette entente prévoyait que 2318 élèves provenant des six écoles privées du territoire seraient desservis par la commission scolaire cette année-là. Ce nombre a diminué au fil des ans. Mais pas le montant de la subvention. Celle-ci s'élève à environ 1 160 000$, c'est-à-dire 500$ par élève.

«En réalité, pour l'année scolaire 2014-2015 et selon des chiffres provenant du service de transport de la commission scolaire, c'est 1703 de nos élèves qui sont transportés», 615 de moins que ce que finance le gouvernement, révèle l'association. La commission scolaire a touché malgré tout et depuis des années une subvention «pour un nombre substantiel d'élèves qu'elle ne transportait plus».

L'association a constaté cette réalité lorsque la commission scolaire a «changé unilatéralement la procédure de facturation» à la suite de la décision du gouvernement d'abolir progressivement, sur trois ans, le financement du transport scolaire pour les écoles privées.

Dans les dernières années, la commission scolaire facturait des frais administratifs aux écoles privées en fonction du nombre d'élèves utilisant le service de transport au 30 septembre.

Mais comme le gouvernement coupe le tiers de la subvention cette année pour le transport des élèves du privé, la commission scolaire a décidé de demander aux six écoles d'assumer complètement cette compression en plus des frais administratifs. Or, sa facture reflète le transport de 2318 et non de 1703 élèves. «Nous trouvons cette situation injuste et déplorable. Nous souhaitons que la commission scolaire assume sa juste part après avoir bénéficié de sommes substantielles qui n'ont pas servi à financer le transport d'élèves du privé», écrit l'association.

De son côté, la commission scolaire confirme qu'elle a touché une subvention pour 2300 élèves provenant du privé année après année même si le nombre d'enfants réellement transportés oscillait entre 1900 et 2000. On parle donc d'un montant entre 160 000$ et 210 000$ pour des «élèves fantômes». Elle plaide toutefois qu'elle n'avait d'autre choix que de prévoir le transport scolaire pour un potentiel de 2300 élèves provenant du privé et que les contrats avec des entreprises d'autobus, comprenant le transport des enfants du réseau public, ont été conclus en conséquence. Elle affirme que les écoles privées doivent assumer la coupe de la subvention.

Même phénomène en Mauricie

La Presse a constaté que le même phénomène d'élèves fantômes sévit en Mauricie, où quatre écoles privées ont une entente avec la Commission scolaire du Chemin-du-Roy. Là aussi, il y a une «entente historique 2004-2005». Elle fixe un nombre d'élèves du privé pouvant être transportés sous sa responsabilité. Dans le cas du Collège Marie-de-l'Incarnation, c'est 790 élèves, le nombre réellement transporté en 2004-2005. Ce nombre a été «figé dans le temps» aux fins du calcul de la subvention du gouvernement, «peu importe le nombre d'élèves réellement transportés», explique le directeur général de cette école, Réjean Lemay. Or, depuis 2005, le nombre d'élèves utilisant le service a baissé année après année. Il n'était plus que de 425 l'an dernier. «Mais la commission scolaire touchait tout le temps la subvention pour 790 élèves», affirme-t-il. La commission scolaire a reçu autour de 182 500$ l'an dernier pour des élèves fantômes.

«J'ai beaucoup de difficulté à comprendre que, devant le nombre de redditions de compte qu'on a à rendre à Québec, le Ministère n'était pas au courant qu'il versait des sommes année après année pour des élèves qui ne sont pas transportés. J'aurais tendance à croire qu'il y a eu une forme de complaisance à cet égard», soutient M. Lemay.

La CAQ a découvert un autre cas en Montérégie. Dans une lettre datée du 4 juillet, la Commission scolaire de Saint-Hyacinthe explique à la direction du Collège Saint-Maurice, une école privée, qu'elle devra revoir à la hausse la facture du transport scolaire de ses élèves en raison de la compression imposée par Québec. Cette année, en 2014-2015, Québec réduit sa subvention de près de 384 000$, souligne-t-elle. De cette somme, 156 000$ «sont liés à la fermeture du Collège Antoine-Girouard». Or cette école a fermé ses portes le 30 juin 2013. La commission scolaire a donc touché sa subvention pendant l'année scolaire 2013-2014 alors que le collège n'existait même plus.

«Ça semble être une opération à grande échelle où le gouvernement et le contribuable se font flouer par les commissions scolaires», lance Jean-François Roberge. Il demande au ministre de dresser un portrait de la situation. «Combien d'argent a été versé en trop depuis 10 ans?», se demande-t-il.

Contradictoire

Il trouve contradictoire que des subventions soient versées en trop en cette ère de compressions budgétaires. «Le gouvernement coupe dans le financement du transport scolaire pour les écoles privées alors qu'il finance des élèves fantômes. Il fait payer davantage les parents, des familles ne pourront plus envoyer leur enfant à l'école privée et, dans le fond, il y a de l'argent dans le système qui est mal utilisé», dit-il.

Le président de la Fédération des établissements d'enseignement privés (FEEP), Jean-Marc Saint-Jacques, condamne lui aussi le phénomène des «élèves fantômes». Il croit que le gouvernement devrait faire le «ménage» dans le financement au lieu d'abolir carrément la subvention destinée aux élèves des écoles privées. «Peut-être qu'on économiserait quelques millions en versant uniquement des sommes pour des élèves réellement transportés. C'est pour ça qu'on demande un moratoire au gouvernement au sujet des coupures dans le transport», affirme-t-il.