Les commissions scolaires ne sont pas inutiles, mais elles sont assurément sclérosées. Par leur faute, mais aussi en grande partie à cause du ministère de l'Éducation, cet énorme bateau, qui leur impose toujours plus de bureaucratie. Tel est le diagnostic d'acteurs et d'experts du milieu à l'approche des élections scolaires du 2 novembre, qui risquent d'être les dernières.

Tous les ans, les écoles, les parents, les élèves, même, doivent réviser avec la commission scolaire leurs «plans de réussite», qui seront ensuite envoyés au ministère de l'Éducation. «Mais la réussite, n'est-ce pas la mission même de l'école? À quoi bon un rapport, alors?», demande François Houde, avocat en droit de l'éducation.

«Plan de réussite», «équipes-écoles», «projet pédagogique», «convention de gestion»: lourd au possible, le jargon de l'éducation illustre bien «à quel point beaucoup de monde passe beaucoup de temps à faire des rapports dans le milieu de l'éducation», résume Me Houde.

C'est précisément l'un des principaux constats du rapport Champoux-Lesage sur les commissions scolaires, remis au ministre Yves Bolduc en juin. Le problème des commissions scolaires ne réside pas dans la gouvernance, qui est globalement bonne, mais dans la lourdeur des obligations qu'on leur impose, peut-on lire. «Au cours des dernières années, le gouvernement a augmenté le nombre de processus et de zones de contrôle, générant ainsi une plus grande bureaucratie. [Le comité d'experts] recommande donc de simplifier les règles en cette matière.»

Si c'est si lourd, si bureaucratique, c'est d'abord «parce qu'on a pelleté dans la cour des commissions scolaires plein de responsabilités sociales, notamment à Montréal», note André Brassard, professeur à la retraite du département d'études en éducation et administration de l'éducation de l'Université de Montréal.

Les commissions scolaires ont dû organiser un service de garde, proposer de l'aide aux devoirs, mettre en oeuvre des programmes pour inciter les enfants à bouger. Aussi, «à la suite d'un événement malheureux d'intimidation en 2012 où une élève s'est suicidée, mais qui a été fortement médiatisé, plus de 300 écoles publiques et privées doivent maintenant avoir un comité et établir un plan d'intervention contre l'intimidation», relève Guy Pelletier, professeur en gestion de l'éducation à l'Université de Sherbrooke.

En étatisant ou en confiant aux commissions scolaires des responsabilités qui incombaient jusqu'ici aux parents, le gouvernement a placé le ministre de l'Éducation dans la position «où il est tenu de justifier chaque décision prise localement, comme d'expliquer pourquoi telle ou telle école a décidé de ne pas acheter de livres pour sa bibliothèque cette année», fait remarquer Jacques Lusignan, professeur émérite en gestion de l'éducation à l'Université de Montréal.

La politisation de l'éducation

Vrai, dit Guy Pelletier, l'éducation est de plus en plus politisée, et pour cause. De grands examens nationaux et internationaux évaluent et comparent les élèves à l'intérieur du pays ou les classent dans de grands palmarès mondiaux.

D'où les fameux «rapports de réussite», avec objectifs chiffrés quant aux taux de diplomation à atteindre.

C'est tout cela qui plombe l'école et les commissions scolaires, mais Me François Houde, qui les défend depuis 30 ans, ne les exonère pas de tout blâme pour autant.

«D'une part, dit-il, elles sont réfractaires au changement. D'autre part, les écoles et les commissions scolaires ont un peu trop tendance à crier au loup!»

Pour Jacques Lusignan, le gros problème de l'éducation, actuellement, «c'est le mur-à-mur», l'obligation pour les commissions scolaires de mettre en application des programmes nationaux, souvent sans aucune marge de manoeuvre. «Les besoins en Gaspésie ne sont pas les mêmes qu'à Montréal», rappelle-t-il.

Le pire des deux mondes, selon Louise Beaudoin

Avec son ministère de l'Éducation qui compte un millier de personnes et un gros réseau de commissions scolaires, «le Québec a le pire des deux mondes. Il faudrait se brancher», croit Louise Beaudoin, ancienne ministre de la Culture.

Marie Malavoy, qui a été titulaire du ministère de l'Éducation jusqu'en avril, estime qu'on aurait tort de penser que le Ministère est un repaire de ronds-de-cuir. Elle admet cependant volontiers «que c'est un gros navire qui ne se conduit pas comme un catamaran».

Le gros problème, dit-elle, c'est que les gouvernements qui se sont succédé ont tous cherché à faire leur marque en créant des programmes et des enveloppes qui se sont ajoutés et dans lesquels on finit par s'égarer.

«Quand j'étais députée, illustre-t-elle, je me souviens d'une commission scolaire qui ne trouvait plus dans ses chiffres où se trouvait l'enveloppe destinée aux élèves en difficulté.»

Personne n'avait pris l'argent, dit-elle. On en avait seulement perdu la trace dans les chiffres.

Malgré ce genre d'anecdotes, Mme Malavoy demeure convaincue du bien-fondé des commissions scolaires. À son avis, «les citoyens ont tout intérêt à ce que les décisions se prennent dans leurs régions plutôt que de façon abstraite et théorique depuis Québec».

C'est tout à fait le point de vue de Benoit Pelleter, ex-ministre libéral des Affaires intergouvernementales qui a accepté la tâche très ingrate de porte-parole des élections scolaires.

«Trop de centralisation»

«Les agences de santé vont être abolies. Si on abolit en plus les commissions scolaires, que restera-t-il aux régions comme outils décisionnels? À mon avis, il y a déjà suffisamment de centralisation à Québec sans en rajouter. Peut-être y a-t-il quelques économies d'échelle à faire dans les commissions scolaires, [mais] je crois que c'est bien plus du côté du ministère de l'Éducation qu'il faudrait se tourner pour faire des économies.»

La grande question, dit Louis Bernard, ancien haut fonctionnaire, c'est d'étudier s'il y aurait une grande plus-value à abolir les commissions scolaires.

Certes, plusieurs pays n'en ont pas et elles pourraient, comme cela se fait ailleurs, être fondues au sein de municipalités. Si on allait dans cette voie, il faudrait soit abolir la taxe scolaire, dit-il, soit l'intégrer à la taxe foncière municipale, ce qui ne serait pas évident.

Il ne serait pas facile non plus de faire avaler la pilule aux anglophones, qui tiennent à la maîtrise de leurs écoles.

«Ce ne sont pas des obstacles insurmontables, mais avant de se lancer dans cette direction, encore faudrait-il voir si on peut vraiment épargner de l'argent et améliorer les choses, ce dont je ne suis pas convaincu.»

Les écoles veulent plus d'argent dans les classes

Avec une directrice d'école secondaire, nous avons pris la calculette. En additionnant toutes les enveloppes reçues du ministère de l'Éducation pour différents programmes (lutte contre l'intimidation, incitation à de saines habitudes de vie, etc.), cela lui donne un total de 1753$ par élève.

Or, en incluant notamment le salaire des enseignants, le ministère de l'Éducation calcule qu'il consacre en moyenne 8636$ par élève en un an.

Ce qu'il faut comprendre, dit Lorraine Normand-Charbonneau, présidente de la Fédération des directions d'établissement du Québec, «c'est que le réseau se sert et qu'il en reste bien peu dans les écoles elles-mêmes. Les directeurs d'école en sont réduits à être de simples exécutants de décisions politiques à la saveur du jour», dénonce-t-elle.

Mme Normand-Charbonneau ne demande pas l'abolition des commissions scolaires, mais elle souhaite qu'elles s'en tiennent davantage aux questions administratives.

«Alléger les structures»

Idem pour une directrice d'école qui a demandé l'anonymat: «Pour l'informatique, pour la gestion des conventions collectives, pour l'embauche des enseignants, pour les questions juridiques, la commission scolaire m'est très utile. Il serait cependant bon d'alléger les structures, d'enlever les commissaires élus.»

Une directrice d'école privée, qui a longtemps travaillé dans le réseau public et qui demande elle aussi l'anonymat, fait remarquer que les écoles privées ne sont pas reliées à des commissions scolaires et que le travail s'y fait très bien quand même. «Je n'ai pas besoin de commissions scolaires pour me «prémâcher» un programme», dit-elle.

Reste que la donne dans le secteur public, avec ses enseignants nettement plus nombreux et syndiqués, est fort différente de ce qui se vit dans les écoles privées, suggère-t-on.

«C'est la raison pour laquelle je crois que les commissions scolaires devraient être transformées en des centres de services qui ne géreraient plus que les ressources humaines - paye, convention collective, etc. - et les ressources matérielles.»

«Le jour où les milliers de dollars en éducation se rendront jusque dans les écoles, conclut-elle, beaucoup de choses pourront être faites, comme je le constate bien dans le secteur privé.»