«Ça m'apparaît plus comme une charte de l'exclusion», estime «Monsieur Accommodement raisonnable». Bergman Fleury, qui a longtemps été spécialiste de l'éducation interculturelle à la CSDM, croit que l'interdiction du port de signes religieux pour le personnel des écoles publiques «viendrait favoriser l'exode vers les écoles privées».

Cet interdit « stigmatise certaines minorités religieuses, et c'est affreux », lance-t-il.

Le gouvernement Marois exclut les écoles privées, qui sont confessionnelles dans certains cas, de l'application de cet interdit sur les signes religieux. Les enseignantes portant le hijab ou les enseignants portant la kippa seront tentés de quitter le réseau public pour le privé. Et les parents de minorités, du moins ceux qui en ont les moyens, risquent d'envoyer leurs enfants en plus grand nombre dans les écoles privées, estime M. Fleury.

Selon lui, le projet de charte des valeurs québécoises est truffé d' « incohérences ». Le gouvernement veut affirmer la laïcité de l'État, mais il préserve les subventions aux écoles privées confessionnelles, par exemple.

M. Fleury ajoute que les municipalités peuvent se prévaloir d'un droit de retrait, mais pas les commissions scolaires qui sont pourtant composées elles aussi d'élues. Il s'explique mal que les universités et les cégeps peuvent y recourir eux aussi, mais pas les écoles.

Ce droit de retrait est « transitoire et temporaire » selon le ministre, mais il prévoit dans son projet qu'il est d'une durée de cinq ans et renouvelable, souligne M. Fleury.

Il approuve toutefois l'idée d'inscrire dans la Charte des droits la neutralité de l'État et des balises pour traiter les demandes d'accommodement religieux. « Mais il n'y a rien de neuf dans les balises, puisqu'elles existent déjà », et elles sont de plus en plus connues chez les directions d'école, surtout depuis la crise de 2007, affirme-t-il. Bergman Fleury a présidé le comité sur l'accommodement raisonnable en milieu scolaire, qui a remis un rapport au gouvernement Charest en 2007, avant la commission Bouchard-Taylor. Il avait alors déboulonné le mythe des écoles ensevelies sous les demandes d'accommodement religieux.

Dans son rapport, il présentait les résultats d'une étude réalisée auprès des directions des écoles primaires et secondaires au sujet des accommodements raisonnables. Sur les 1551 écoles qui ont répondu au questionnaire (les deux tiers du réseau), seulement le quart, 351, ont reçu des demandes d'accommodement en trois ans. Ces écoles se trouvent surtout à Montréal. Des 306 écoles montréalaises qui ont participé à l'étude, 121 (39,5%) ont dû composer avec des demandes d'accommodement. Environ 450 demandes ont été faites chaque année à ces 351 écoles. La moitié des demandes faites à ces écoles ont été acceptées. Les établissements en ont toutefois rejeté le quart. Le reste des demandes ont fait l'objet de pourparlers, et des solutions de rechange ont été trouvées.

Son enquête révélait que 37,4% des demandes visaient à permettre à un élève de s'absenter à cause de fêtes religieuses. D'autres portaient sur une modification aux méthodes d'enseignement pour respecter des croyances (20,5%). La tenue vestimentaire a fait l'objet de 9,1% des demandes d'accommodement.

Parmi les 351 écoles, 197 ont reçu des demandes provenant de chrétiens: 95 de protestants, 55 de catholiques, 19 de chrétiens orthodoxes et 28 d'autres religions chrétiennes. La communauté juive a fait des demandes auprès de 62 écoles, tandis que 152 établissements ont reçu des demandes de Témoins de Jéhovah. Presque le même nombre, 153, ont eu des demandes de musulmans.