Les fameuses «compétences transversales», qui ont fait rager tant de parents et d'enseignants et fait couler des litres d'encre depuis 1997, n'existent plus. Un décret publié hier par le gouvernement Charest a consacré en douce leur éradication complète du vocabulaire de l'éducation.

En fait, l'expression «compétences transversales» se retrouvait quatre fois dans la bible de l'enseignement au Québec, soit le Régime pédagogique de l'éducation préscolaire, de l'enseignement primaire et de l'enseignement secondaire. Avec le décret d'hier, on modifie ou on élimine carrément les articles où figurait l'expression controversée.

Par exemple, dans l'article 15 du Régime pédagogique, on expliquait ainsi ce qu'est un cycle: une période d'apprentissage pour acquérir «un ensemble de compétences disciplinaires et transversales». Dorénavant, cette période servira plutôt à l'acquisition de «connaissances et compétences disciplinaires».

Dans les trois autres mentions, qui figuraient dans les articles 30 et 30.1 du Régime, on élimine carrément les paragraphes controversés. Ils sont remplacés par un spécimen du bulletin qui sera utilisé en 2011. Nulle part dans ce bulletin ou dans les nouveaux paragraphes l'expression «transversales» n'est reprise. On y trouve cependant encore la notion d'évaluation des «compétences».

La nouvelle ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, a soulevé l'enthousiasme le 20 août dernier lorsqu'elle a annoncé l'implantation du bulletin chiffré en 2011. Ce bulletin se voulait une meilleure façon d'évaluer les «connaissances» plutôt que les «compétences». Il n'avait toutefois pas été question d'abandonner toute référence aux compétences transversales.

Il n'a pas été possible, hier en fin d'après-midi, d'obtenir les commentaires du ministère de l'Éducation.

Victoire symbolique et déplacement

Farouchement opposée à la réforme qui avait introduit la notion de compétences transversales, l'Alliance des professeurs de Montréal a salué hier cette victoire symbolique. «Nous avons été parmi les premiers chevaliers partis à l'assaut de cette réforme, rappelle Yves Parenteau, président de ce syndicat, qui regroupe quelque 8000 enseignants. Nous sommes maintenant bien heureux qu'on officialise le fait que l'évaluation va être centrée sur les connaissances plutôt que les compétences.»

M. Parenteau, qui a pris connaissance de ce décret hier après-midi à la demande de La Presse, estime que, «à première vue», le Ministère va dans la bonne direction. «Ça semble correspondre au projet que la CSDM et l'Alliance ont soumis à la ministre en janvier dernier. C'est dans le même esprit.»

Il estime cependant que «le travail n'est pas terminé» puisqu'on trouve encore des traces du vocabulaire de l'ancienne réforme. Il relève ainsi un paragraphe «qui brûle les yeux» dans le décret publié hier, où on évoque la «pondération des compétences».

Même son de cloche du côté de la Fédération des syndicats de l'enseignement. Très critique à l'égard de la réforme, sa présidente, Manon Bernard, estime que la ministre de l'Éducation a subtilement réalisé un «déplacement». Alors que les enseignants devaient auparavant évaluer une fois par année une compétence transversale, ils doivent maintenant évaluer deux fois par année deux compétences. «Même si on a enlevé le mot "transversales", on dit (dans le décret) d'aller voir dans le bulletin, où on revient avec cette notion très difficile à évaluer de "compétences".»

Elle estime malgré tout qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction.

L'Alliance des professeurs de Montréal est en outre sceptique quant à la répartition de l'évaluation des élèves en trois étapes - 20% pour les deux premières et 60% pour la dernière. «Soixante pour cent, on trouve ça beaucoup, dit Yves Parenteau. On n'aurait pas de problème à faire l'évaluation en quatre étapes.»

Le décret adopté hier fait suite à un projet de règlement déposé le 11 juin dernier par la ministre de l'Éducation d'alors, Michelle Courchesne. Elle avait annoncé une période de consultation auprès des intervenants du réseau et notamment sollicité l'avis du Conseil supérieur de l'éducation. Le décret éliminant officiellement les compétences transversales entrera en vigueur le 1er juillet 2011.