À la Commission scolaire des Hautes-Rivières en Montérégie, l'école primaire de Clarenceville ne laisse aucun enseignant indifférent. Crainte par plusieurs qui donneraient tout au monde plutôt que d'y travailler, l'établissement, et sa clientèle bien particulière, est au contraire un coup de coeur pour d'autres. La Presse s'y est rendue hier, afin d'y vivre la dernière journée de classe.

Située dans un petit rang tranquille de la municipalité de Clarenceville près de Venise-en-Québec, l'école du Petit Clocher est entourée d'arbres et de champs. De la cour de récréation, il est possible de nourrir une vache et son veau, qui paissent dans le pré voisin.

Dans cette municipalité de 1000 habitants où tous les commerces ont successivement fermé leurs portes à l'exception d'un bar de danseuses, l'école est chérie par la population.

Hier matin, la fébrilité des enfants était palpable. Tout comme des milliers d'écoliers québécois, cette centaine de jeunes s'apprêtaient à vivre leur dernière journée d'école.

Mais comme l'explique la directrice de l'école du Petit clocher, Lyne Martel, la fin de l'année scolaire est vécue différemment chez elle. Car la population est défavorisée. Très défavorisée.

L'école possède un indice de 10 sur l'échelle de défavorisation du ministère de l'Éducation, soit la note la plus élevée. Carences nutritionnelles et affectives, retards de développement... La liste des problèmes vécus par certains est longue.

Hier matin, la petite Tania* semble plus timide qu'à l'habitude. Son enseignante de 2e année, Mme Joyce, le remarque. « Qu'est-ce qu'il y a ma belle Tania? » demande-t-elle. «C'est que... J'ai pas déjeuné », répond Tania. «Bon bien ma chère! On ne peut pas partir sans avoir mangé! Viens que je te donne une pomme! » répond Mme Joyce.

Des scènes comme celle-là, il s'en vit tous les jours à l'école du Petit clocher. Un contenant de pommes est d'ailleurs gardé à porté de mains. L'hiver, une boîte de tuques et de mitaines permet aussi de parer aux imprévues.

La quantité d'élèves infortunés est si importante à Clarenceville, que l'école a décidé il y a trois ans d'instaurer un uniforme, un simple t-shirt bleu ou rouge vin. «Ça évite de cibler rapidement les enfants moins riches», résume Mme Hélène, qui enseigne depuis près de 10 ans dans cette école.

L'établissement ne possède pas non plus de service de garde. «On ne peut pas en avoir, parce que trop peu de parents le demandent. Très peu pourraient réellement se le payer», explique Mme Annie, qui enseigne en 1er année.

Une fois tous les élèves arrivés, tous montent à bord d'autobus jaunes. Direction : St-Jean-sur-Richelieu pour une journée au camp Youhou! Pour plusieurs enfants, ces sorties scolaires sont les seules fois dans l'année où ils quittent leur village, explique Mme Joyce.

«Au début de l'année, on va au Parc Angrignon à Montréal. Je ne te mens pas, des fois des enfants sont émerveillés simplement en voyant des ponts. Ils n'ont jamais vu ça! » illustre-t-elle. Pour cette enseignante qui travaille à Clarenceville depuis plus de cinq ans, les enfants de cette municipalité sont irremplaçables. «Ils sont parfois carencés, oui. Mais ils sont tellement attachants», dit-elle.

Dans l'autobus, Sophie, une élève de 3e année, semble songeuse. Quand on lui demande si elle a hâte aux vacances, elle répond: « C'est bizarre. J'ai hâte de ne plus avoir d'école. Mais je n'ai pas hâte de ne plus aller à l'école».

Plusieurs enfants sont comme ça, selon Mme Hélène. «À la maison, la situation n'est pas toujours facile. Pour eux, L'école est une sécurité. Un milieu encadré où ils aiment venir. Pour certains, la fin de l'année c'est très triste», note-t-elle.

Même si aucun enseignant n'aime s'en vanter, ils reconnaissent que la Direction de la protection de la jeunesse est impliquée dans les dossiers de certains enfants du Petit clocher. Il n'y a pas très longtemps, une élève a été prise en charge quelque temps par la DPJ parce que « son papa faisait pousser des plantes ».

Mais arrivés au camp Youhou!, les peines et misères de chacun sont vite oubliées. Baignade, kayak, escalade... Les jeunes participent avec enthousiasme.

Observant attentivement les élèves durant la baignade, Mme Sophie, l'enseignante d'éducation physique, ne cesse de les vanter. «Je suis ici depuis un an et j'espère revenir. J'ai adoré l'expérience. Les enfants sont reconnaissants. C'est très valorisant. Oui, certains nous arrivent avec des carences. Au niveau de la motricité, certains tombent en pleine face quand ils courent, même s'ils sont en 2e année! Mais ils apprécient ce qu'on leur donne. Et ça, ça n'a pas de prix.»

Cette année, Mme Sophie a organisé une dizaine d'activités parascolaires. Tout le monde lui prédisait un échec. Mais grâce à la collaboration de l'école, le prix de ces activités a été maintenu très bas. Et Mme Sophie s'est investie à fond afin que tous les enfants désireux de participer le puissent. « J'appelais les parents de certains pour qu'ils en amènent d'autres. C'était beaucoup de travail, mais les enfants ont adoré. »

Au camp Youhou!, les jeunes de 6e année ont participé à une activité de kayak. Une première pour la quasi totalité d'entre eux. À bord d'une embarcation double, Mathieu encourageait son partenaire à pagayer plus fort. « Allez! Bégaye! Bégaye! », criait-t-il, sous l'oeil amusé de M. Bernard, l'enseignant.

Présent depuis près de 10 ans à Clarenceville, M. Bernard adore ses élèves. «Pour mes grands de 6e année, c'est dur la fin d'année. Ils pleurent depuis le début de la semaine! L'an prochain, ils vont aller à l'école à Saint-Jean-sur-Richelieu, à 30 minutes d'ici. Ils quittent leur petit milieu et plusieurs ont très peur», résume-t-il.

Dans l'autobus de retour vers Clarenceville, Julie, une élève de 5e année, dit avoir « un peu hâte » à l'été. Elle explique qu'elle participera à un camp de scouts. « Mais ce n'est pas ma mère qui a payé. C'est une madame qui aide les gens pauvres. Parce que tsé, le BS c'est pas assez pour se payer un camp», dit-elle. Plus tard, Julie veut devenir vétérinaire. « Mais je sais que je vais devoir aller à l'école longtemps. Au pire, je vais ramasser des cannettes pour avoir assez d'argent», dit-elle.

De retour à l'école en fin de journée, les enfants de Clarenceville se sont réunis autour de l'ancien clocher de l'église voisine. Mme Annie a fait sonner la cloche signifiant la fin de l'année. Plusieurs enfants pleuraient. "Vous voyez, ce n'est pas vrai que tous les enfants ont hâte aux vacances!" a témoigné Mme Joyce, les larmes aux yeux, qui profitera de son congé, mais qui a très hâte de revoir ses petits l'an prochain.

* Certains noms ont été modifiés pour préserver l'anonymat des enfants