Même si la Ville de Lac-Mégantic s'y attendait, la mairesse Colette Roy-Laroche n'en est pas moins insultée d'apprendre que MMA s'est placée sous la protection des tribunaux pour éviter d'être saisie par ses créanciers. Pour la première fois, la mairesse a parlé ouvertement de poursuites contre le propriétaire du train qui a déraillé dans sa ville.

Montreal, Maine&Atlantic Railway a déposé une requête hier devant la Cour supérieure du Québec pour obtenir une protection en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Parallèlement, une requête similaire a été déposée en cour américaine des faillites, dans le Maine.

«Il est devenu évident que les obligations des deux entreprises [au Canada et aux États-Unis] dépassent maintenant la valeur de leurs actifs, y compris les indemnités d'assurance potentielles, conséquence directe du déraillement tragique à Lac-Mégantic», déclare le grand patron de l'entreprise Edward Burkhardt.

«J'ai lu leur communiqué et c'est une insulte après les insultes que nous avons déjà reçues», a déploré Mme Roy-Laroche. Elle reconnaît toutefois que l'annonce n'est pas une surprise. «Quand une entreprise ne peut payer ses fournisseurs, c'est déjà un signe qu'elle n'est pas tellement solide.»

Au-delà de ses moyens

Le déraillement du train de MMA, qui a tué 47 personnes, a également déversé près de 5,7 millions de litres de pétrole dans l'air, l'eau et les sols.

Même si l'entreprise a engagé huit fournisseurs pour nettoyer et récupérer les hydrocarbures, elle n'a pas versé un sou aux travailleurs. La Ville a alors dû acquitter la facture, qui s'élevait à 7,79 millions le 26 juillet, pour éviter tout retard dans les travaux. La Ville a ensuite été dédommagée par le gouvernement du Québec, mais deux mises en demeure ont été envoyées à MMA pour obtenir un remboursement.

«Nous devrons entamer des poursuites pour récupérer l'argent», a reconnu Mme Roy-Laroche à La Presse.

Selon les documents déposés en Cour supérieure, MMA Canada Co. évalue les coûts de la décontamination à 200 millions, tandis que ses avoirs se chiffrent à 17 millions. La requête déposée dans le Maine par sa société soeur américaine fait état de 200 à 999 créanciers, d'actifs évalués entre 50 et 100 millions US et de dettes s'élevant entre 1 et 10 millions US.

Le ministre québécois de la Santé Réjean Hébert s'était également préparé à ce que MMA fasse appel à la protection des tribunaux. «Nous nous y attendions, [...] nous avons un statut de créancier garanti [sur les créances environnementales]», a-t-il précisé.

«Cette annonce ne signifie pas que MMA est exemptée de ses responsabilités à l'égard des résidants de Lac-Mégantic», a déclaré Ashley Kelahear, porte-parole de la ministre fédérale des Transports, Lisa Raitt.

«Nous travaillerons avec la province du Québec pour assurer que le nettoyage continue et que la population de Lac-Mégantic continue de recevoir le soutien dont elle a besoin», a-t-elle ajouté.

Dans le communiqué, MMA dit vouloir continuer à travailler au nettoyage avec le ministère québécois de l'Environnement et la municipalité de Lac-Mégantic aussi longtemps que ce sera nécessaire. M. Burkhardt n'a pas rappelé La Presse, hier.

La mairesse a toutefois confirmé que MMA ne paie toujours pas les travailleurs. Jean-Claude Morin, président de MD-UN qui coordonne les travaux de nettoyage du site, a tenu à souligner que ces derniers développements n'inquiétaient pas les travailleurs. «Nous continuons le travail comme auparavant», a-t-il dit.

MMA sera de retour en cour ce matin, puisqu'un juge doit maintenant accepter ou rejeter la requête.

La requête de MMA devant les tribunaux canadiens et américains survient 24 heures avant le jour de paie de ses employés. Hier matin, le syndicat des Métallos dénonçait déjà le fait que l'entreprise refuse de verser les indemnités de vacances aux 13 employés mis à pied il y a deux semaines. Le syndicat menaçait de déposer des griefs dès aujourd'hui. Le syndicat n'a pas souhaité réagir aux derniers développements.

Dans son communiqué, MMA assure que les 85 personnes travaillant toujours pour l'entreprise recevront leurs salaires et indemnités. La société continuera également d'assurer les services ferroviaires dans les gares du Vermont, du Maine et du Québec.

Frustration évidente

À la sortie d'une réunion organisée par la municipalité pour les sinistrés, la frustration était évidente. «Tout le monde s'y attendait qu'il déclare faillite, je ne suis pas surprise. Je suis en colère, en maudit», a dit une dame.

«M. Burkhardt travaille pour sauver ses sous, c'est un grave accident qui lui est arrivé. Il ne méritait pas ça. Il perd son entreprise et ça n'aidera pas Lac-Mégantic qu'il fasse faillite», a philosophé un citoyen.

- Avec Martin Croteau, Vincent Brousseau-Pouliot