Mohammad Shafia considère que deux de ses filles, Zainab et Sahar, ont terni son honneur en fréquentant des garçons et en se photographiant en sous-vêtements. Mais il maintient que la nuit du 30 juin 2009, ses trois filles et sa première femme ont péri dans un accident voulu par Dieu, et non pas de sa propre main.

«Mon honneur est important pour moi. Mais tuer quelqu'un ne redonne pas l'honneur. Le Coran interdit de tuer. Il n'y a aucune religion qui permet de tuer quelqu'un», a-t-il dit, hier, lorsque la procureure de la Couronne l'a interrogé avec insistance. Me Laurie Lacelle l'a taraudé sur des propos compromettants qu'il a tenus après la mort de ses filles, Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, Geeti, 13 ans, et de sa première femme, Rona, 53 ans.

Mohamma Shafia a souvent amorcé ses réponses à Me Lacelle en disant: «Respectable dame.» À un certain moment, hier, l'accusé s'est lancé dans une tirade d'une voix forte, mais qu'il a finie au bord des sanglots. Il a dit avoir quitté l'Afghanistan pour le bien-être de sa famille. «Je suis un musulman, pas un tueur. Qu'est-il arrivé? Dieu le sait. Dieu le sait, moi, je n'en sais rien», a-t-il dit, avant de s'éponger les yeux avec un mouchoir.

«Je n'ai pas d'autre question», a lancé Me Lacelle, mettant fin au contre-interrogatoire de l'homme que la Couronne présente comme le principal artisan des noyades de l'écluse de Kingston Mills. Sa seconde femme Tooba, 41 ans, et leur fils aîné, Hamed, sont assis à ses côtés dans le box et font face aux mêmes chefs d'accusation, soit quatre meurtres prémédités. Les quatre victimes ont été trouvées noyées dans une Nissan au fond de l'écluse de Kingston Mills. La famille de 10 revenait d'un voyage à Niagara quand le drame est survenu.

La Nissan qui allait devenir le tombeau des quatre malheureuses a été achetée d'occasion le 21 juin 2009, deux jours avant le départ en voyage. Hier, Mohammad a fait une surprenante révélation en disant qu'il a acheté ce véhicule pour Zainab, l'aînée de ses enfants. Celle-ci n'avait pas de permis de conduire, et son ex-amoureux (Ammar Wahid) a soutenu, lorsqu'il a témoigné, qu'elle n'avait jamais montré d'intérêt pour la conduite automobile. On sait que les trois accusés ont toujours mis la faute du tragique «accident» sur Zainab, soutenant qu'elle avait demandé les clés de la Nissan, une fois la famille arrivée au motel de Kingston, la nuit fatidique. Elle voulait prétendument aller chercher des vêtements dans le coffre, mais elle en aurait profité pour aller se balader sans permis et sans permission en pleine nuit, avec ses deux soeurs et Rona.

Feu nourri

Mohammad Shafia a passé une journée et demie dans le box des témoins, dont une journée à se défendre sous le feu nourri des questions de Me Lacelle. Celle-ci a fait ressortir les bizarreries et les contradictions de sa version. Une «version fabriquée» qu'il a modifiée au gré des bouts de preuve qui lui ont été révélés, selon Me Lacelle.

Mohammad a toujours dit qu'il avait aidé les policiers du mieux qu'il pouvait afin qu'ils découvrent la vérité sur la mort de ses filles. Pourtant, l'écoute électronique démontre que sa femme, Hamed et lui s'inquiétaient vivement de la possible présence de caméras à l'écluse, la nuit du drame. Les policiers leur avaient soumis cette possibilité, le 18 juillet 2009, en les faisant venir à l'écluse pour leur montrer comment ils croyaient que «l'accident s'était produit». C'était une ruse pour inciter le couple et son fils à parler. Les trois ignoraient qu'ils venaient d'être mis sur écoute électronique.

«Ils mentent, il n'y avait pas de caméra... Ils essaient de nous sonder... Il y en avait peut-être une dans cette petite maison où nous sommes allés tous les trois», a dit Tooba.

«Non, s'il y en avait eu une, ils l'auraient prise... S'ils avaient une preuve, ils seraient venus depuis longtemps. Ils ne nous auraient pas laissés tranquilles, toi (Hamed), ta mère et moi...», a dit Mohammad.

«Vous étiez un père en peine, une mère en peine et un frère en peine à ce moment-là?», a demandé Me Lacelle avec une pointe d'ironie.

«Oui, toute la famille était en peine», a soupiré Mohammad Shafia.

Le procès se poursuit à Kingston lundi. L'avocat de M. Shafia prévoit appeler quatre autres témoins en défense, avant que le procès fasse relâche pour les Fêtes. Il reprendra le 9 janvier.