L'homme d'affaires Paul Sauvé affirme que plusieurs acteurs économiques importants de la région de Montréal ont fait pression sur lui lorsqu'il a refusé de participer à la collusion dans l'industrie de la maçonnerie au Québec. Des maçons, un gros entrepreneur général et même un banquier de la Banque Nationale lui ont indiqué qu'il valait mieux entrer dans le rang et « partager le marché », a-t-il raconté à la Commission Charbonneau.

La Commission a accepté aujourd'hui de rendre publics de nouveaux extraits du témoignage de M. Sauvé, qui a relaté ses mésaventures dans le milieu de la construction au cours des années 2000, alors qu'il avait repris les rennes de l'entreprise de maçonnerie de son père, LM Sauvé.

Idéaliste, éduqué aux États-Unis où il avait acquis de solides convictions en faveur du libre-marché et de la saine compétition, M. Sauvé affirme avoir constaté rapidement que ses compétiteurs discutaient des contrats, s'échangeaient des secrets pendant les périodes de soumissions et gonflaient artificiellement les prix.

Plusieurs personnes avaient tenté de le faire participer à la collusion, sans succès, a-t-il raconté. Mais le message a aussi été repris « par nos banquiers à la Banque nationale », prétend-il.

M. Sauvé a raconté une rencontre avec Patrick Turmel, qui était chargé des comptes commerciaux à Montréal.

« Il nous dit que la banque représente une panoplie d'entrepreneurs, entre autres dans le domaine de la maçonnerie, et que ça chiale, ça râle, que les compétiteurs ne sont pas contents que la Banque ait octroyé des crédits, des surfaces de crédit pour l'expansion de LM Sauvé, que LM Sauvé devrait être un meilleur acteur dans l'industrie et partager le marché. On me passe le message », a déclaré le témoin.

M. Turmel, qui est devenu depuis vice-président associé des services aux entreprises pour l'Est de Montréal à la Banque Nationale, conteste la version de Paul Sauvé et entend se défendre, selon son employeur.

« Nous avons pris connaissance des propos formulés aujourd'hui et mettant notamment en cause l'un des nos employés actuels, M. Patrick Turmel. Nos services de sécurité ont rencontré monsieur Turmel aujourd'hui et il apparaît que les propos tenus par M. Paul Sauvé ne concordent aucunement avec ceux de M. Turmel. Par ailleurs, M. Turmel est prêt à passer un test du polygraphe, ce qui permettra de dissiper les doutes sur les éléments entendus aujourd'hui », affirme Claude Breton, porte-parole de la Banque Nationale.

Rencontre au restaurant

Paul Sauvé a aussi raconté qu'il avait été convoqué au restaurant, au milieu des années 2000, par un compétiteur qui voulait le convaincre de participer à la collusion.

«  J'écoute le discours qu'on me présente sur les effets du marché, sur la nécessité d'être un bon franc joueur, sympathique aux conditions du marché », a-t-il raconté au sujet de ce dîner.

L'entrepreneur qui lui parle « est inquiet parce qu'on ne participe pas, et on prend des ouvrages à des prix concurrentiels. Et il aimerait qu'on puisse échanger sur la valeur de nos soumissions, puis qu'on partage le marché selon la bonne vieille méthode collusoire. C'est simple. »

Lorsqu'il a refusé de nouveau, il dit avoir eu la surprise de voir Joe Borsellino, le président de Construction Garnier, arriver à sa table sans y être invité, et le questionner sur l'industrie de la maçonnerie. Or, Borsellino n'était pas actif dans ce domaine. Et Sauvé avait peur de lui depuis qu'ils avaient collaboré sur un projet et constaté son attitude agressive.

« D'abord je n'avais pas invité ça, loin de là, puis deuxièmement, il n'avait pas d'affaire à venir s'asseoir avec nous. Ce n'était pas sa place. C'était quelqu'un à l'époque qui était assez intimidant. D'abord pour ce qu'il était et ce qu'il représentait, et la façon dont il se comportait », a déclaré le témoin.

Sauvé affirme qu'il s'est senti intimidé car il ne voulait surtout pas de problèmes avec Borsellino. « C'est quelqu'un qu'il faut bien payer. C'est quelqu'un avec qui faut pas niaiser, parce qu'il représente une certaine violence. Il y a un entourage autour de chez Garnier, il y a une réputation, un nuage noir... », a-t-il déclaré.

La rencontre s'est mal terminée. Elle n'était que le prélude aux nombreuses difficultés que connaîtrait Paul Sauvé dans l'industrie de la construction au cours des années suivantes.